Avant hier après-midi, dans les locaux du CFM à Nouakchott, notre compatriote Mbarek Ould Beyrouk a fait une présentation de son roman « le tambour des larmes », qui a été récompensé par le prix Amadou Kourouma en avril dernier à Genève. Quelques heures auparavant, j’en parlais avec Alain Faujas, ancien journaliste du Monde et actuel correspondant de Jeune Afrique. De passage actuellement à Noukchott, il m'a expliqué tout le bien qu’il en pense... et je lui ai exprimé mon désir de publier et de partager ses articles sur ce sujet. Demande acceptée immédiatement... et aussitôt mise en oeuvre par mes soins.
El Boukhary Mohamed Mouemel
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"Le Sahara, à la vie, à la mort
Avec Le Tambour des larmes, le romancier mauritanien Beyrouk signe un texte envoûtant dans lequel les femmes paient cher leur liberté d’aimer et où le monde nomade doit faire face à la modernité
C’est une histoire de viols au pays des Maures. Celui du cœur de la belle Rayhana, de haut lignage puisque issue de la tribu des Oulad Mahmoud, séduite puis abandonnée par un non moins bel ingénieur. Celui de la maternité de Rayhana, à laquelle son implacable mère vole le « petit cœur », fruit de ces amours interdites. Enfin, celui du Sahara par le monde moderne, qui en bafoue les chaudes traditions nomades autant qu’il y apporte la liberté urbaine. Le Tambour des larmes n’est pas une bluette !
Avec ce roman, M’Barek Ould Beyrouk continue à confronter le passé et le présent, la tradition et la justice, confrontation dramatique qu’il avait déjà mise en scène dans Et le ciel a oublié de pleuvoir (2006), Nouvelles du désert (2009) et Le Griot de l’émir (2013).
Une fois de plus, c’est une femme qui cristallise toutes les contradictions. La fière Lolla, héroïne d’Et le ciel, est la sœur jumelle de Rayhana. Toutes deux refusent d’aliéner leur liberté d’aimer; toutes deux le paient cher.
Lolla proclame : « Je n’appartiendrai ni aux tentes blanches des seigneurs des sables ni au mobilier cossu des citadins parvenus », et Rayhana vole le tambour sacré de sa tribu pour la punir – on pourrait dire « l’émasculer » – du vol de son enfant, mais vient s’échouer à Nouakchott, «où l’on ne respire pas ». Ces deux rebelles sont prêtes à mourir pour une justice qui transcende celle des tribus.
Chair noire, sang blanc.
C’est tragique parce qu’il n’y a pas d’autre choix possible qu’un désert somptueux mais inhumain ou une ville humanisée mais sèche comme l’erg. Pas d’autre choix que des us et coutumes si protecteurs mais conçus au rythme des dromadaires ou l’individualisme de la cité si enivrant mais tellement froid.
Ces deux femmes, tout comme le griot de l’émir, incarnent évidemment Beyrouk lui-même, qui, avec un art consommé de la narration et du flash-back, entretient le suspense en nous plongeant dans les affres physiques et morales de ses personnages. Car il est lui aussi déchiré. De sa plume de poète, il enchante le souvenir des traditions, des chants sur les dunes, des étoiles du désert, des djinns portés par les vents qu’il ne se lasse pas de chanter, mais tout indique qu’il a choisi la modernité. Né à Atar, aux portes du désert, en 1957, fils d’un instituteur, il a tâté du droit, discipline de raison. Puis créé un journal, Mauritanie demain, entreprise de passion.
Depuis huit mois, il est le conseiller du président mauritanien dans le domaine de la culture, poste de raison. Gageons qu’il continuera de bouleverser ses lecteurs en incarnant la très métisse Mauritanie dans des personnages écartelés entre leur chair noire et leur sang blanc. « J’ai commencé à écrire le roman d’un garçon perdu des quartiers populaires de Nouakchott, annonce-t-il. Soumis à la pression des vidéos, de la télévision, son quotidien est fait de violence. » Son héros succombera-t-il au fondamentalisme, voire au terrorisme ?
La Mauritanie n’est pourtant pas terre d’extrémisme, et, dans cet ouvrage, Beyrouk pourrait réconcilier la tradition et la modernité. « Dans les milieux urbanisés, il existe des personnes radicalisées, explique-t-il, mais j’espère que le reste du peuple mauritanien ne dérapera pas jusque-là. Notre islam malékite imprègne notre vie de tous les jours tout comme notre poésie. Il est tellement vieux et tellement pétri de soufisme qu’il résistera. »
À moins que Beyrouk ne préfère arroser le macadam de la capitale de sang et de larmes, comme il l’a fait pour le sable du Sahara…
Alain Faujas
Source : JA