C’est en voulant savoir un peu plus sur un grand artiste plasticien japonais, Iwasaki Nagi, que je suis tombé par hasard sur Yue Minjun, un autre peintre de l’Extrême-Orient. Lui aussi, peint le rire. Mais il le fait autrement : de façon provocatrice, surdimensionnée, fortement ironique et certainement beaucoup moins gaie.
J’ai déjà entendu parler de fous rires à pleines dents, qui font la marque picturale de cet artiste plasticien pékinois.
Au premier contact avec son œuvre, le lecteur est en effet frappé par un rire sarcastique qu’affichent ses portraits au faciès faussement joyeux.
Cependant, moi ma première rencontre avec lui commence réellement par le tableau "à la recherche du paradis". Le rire cynique y est bien entendu, mais c’est surtout le cloisonnement qui me fascine. D’un côté : des spectacles de joie, de danse, de rire, de convivialité, de fête…y éclatent ; et de l’autre : il y règne des scènes de solitude, de tristesse, d’abattement, de vide.
Ces fractures sont solidement maintenues au moyen de murailles infranchissables, qui rappellent la Muraille de Chine. A l’intérieur des ces impasses impénétrables, bizarrement structurées comme des labyrinthes sans issues, des gens aux silhouettes floues, aux couleurs sombres, sont cloîtrés. Ils sont séparés, tenus à l’écart, les un des autres, par des murs bien lisibles grâce à leur couleur ocre et leurs lignes régulières bien tracées.
Je trouve que l’ensemble de cette architecture artistique, avec ses contrastes, est très parlant, s’agissant de l’absurdité du monde : le tableau est évocateur de l’ampleur des fossés et défis de multiples ordres qui font les drames que connaît l’humanité. Des fractures dont on est aujourd’hui conscient, mais qui continuent de se creuser malgré les discours d’humanisme, de solidarité internationale, que l’on développe.
Le drame des migrants qui vont à la recherche du paradis en Europe, en Amérique ou ailleurs, rappelle cette triste réalité. Les pays développés, chantres de ces discours, refoulent ces refugiés, les rejettent. Ils dressent des obstacles infranchissables contre eux, voulant empêcher le mouvement des populations. Ils entravent de la sorte la communication, l'ouverture sur l'autre, les mélanges entre les peuples, leur brassage.
De telles murailles constituent la face peu réjouissante et absurde de la mondialisation :autant les frontières deviennent de plus en plus poreuses et quasiment incontrôlables, autant les Etats s’acharnent à les renforcer. Des cloisonnements terribles en naissent, engendrant des frustrations et des drames indescriptibles. Ceux qui les construisent continuent d’afficher leur sérénité, promouvant leur « générosité ». Se donnant une bonne conscience, ils évacuent les souffrances qu'ils font subir aux exclus du fait de ces murailles affreuses.
Comme quoi, le "Mur de la honte" n'a pas disparu. Bien au contraire ! Il ne cesse de se démultiplier sous formes de barrières diffuses mais tout aussi ignobles.
El Boukhary Mohamed Mouemel
Pékin, mai 2O15