L’organisation pour la première fois d’un sommet de la Ligue arabe en Mauritanie constitue incontestablement un événement historique à double titre. Il est le couronnement logique d’une présence diplomatique affirmée de la Mauritanie, sous la présidence de Mohamed Abdel Aziz, dans le concert de la nation arabe. Il l’est aussi, parce que notre pays aura pour lourde et exaltante mission, à travers la présidence en exercice, de retisser les rangs de cette organisation aujourd’hui effilochée, et la sortir du désespoir profond et du déclin humiliant dans lesquels elle se fourvoie depuis quelque temps. Une mission peut être impossible pour beaucoup, que je ne suppose point tous de mauvaise foi, tant le désespoir s’est fortement insinué dans l’inconscient collectif des Arabes à un niveau, si profond, que l’on se demande, avec effroi, si même l’idée d’une Nation arabe, qui a suscité dans le passé les grandes espérances du peuple de l’Atlantique au Golfe, puisse encore être évoquée.
Mais, si profond que soit le désespoir, si décadente que soit la situation arabe actuelle et si fortement affectés les propres ressorts de cette unité, une chose de poids subsiste qui rend d’ailleurs « tout le reste par surcroit » : un puissant sentiment panarabe, une volonté permanente de vivre ensemble ou plutôt de revivre ensemble et de recouvrer le prestige d’antan que ni les alluvions du temps ni les vicissitudes du présent n’ont pu enterrer définitivement ; un sentiment d’union que la tendance mondiale actuelle au regroupement dans les grands ensembles régionaux dicte et en fait une attitude rationnelle, une valeur de civilisation, d’autant plus ,que nulle part ailleurs dans le monde, ne se trouvent réunis d’aussi forts ingrédients de réussite : une même civilisation, une langue commune, un même corps géographique et une complémentarité en ressources économiques.
Autant d’atouts qui font que, malgré l’acuité et l’ampleur des problèmes actuels, la Nation arabe n’est pas condamnée à sortir de l’histoire, car il n’ya pas d’impasse, de situation sans issue devant une ferme volonté d’arrachement au service d’une noble et juste cause ; il n’y a pas non plus de création historique d’une aussi grande ambition sans déceptions et sans entraves, mais surtout sans sacrifices et sans motivation inébranlable. Et la Mauritanie, sous la présidence de Mohamed Ould Abdel Aziz, est précisément un exemple vivant de réussite des grandes ambitions obtenues par la conjugaison harmonieuse de la ferme volonté, de la clarté des idées, de la fidélité à certains principes, et des sacrifices consentis au service d’une cause sublime. Ce sont ces qualités exceptionnelles qui ont conduit à la réussite unanimement reconnue de notre présidence de l’Union Africaine dans une conjoncture continentale tout aussi difficile que celle du monde arabe aujourd’hui. Ce sont ces mêmes atouts qui conduiront également à la réussite de la présidence de la ligue arabe. Il s’agira, comme pour l’union africaine, de faire en sorte que l’idéal et le sentiment général l’emportent sur les vues courtes et sectaires, et le futur sur le fait accompli. Il s’agira, en particulier, là où les divisions ont conduit à l’échec, d’inventer ensemble de nouvelles voies concertées et négociées.
Pour ce faire, le sommet de Nouakchott doit être le point de départ d’une action commune arabe fondée sur de nouveaux principes, avec de nouveaux outils adaptés au monde d’aujourd’hui et sous-tendue par de fermes mesures de sécurité contre les défis intérieurs et extérieurs.
S’agissant en premier lieu des principes, Il est incontestable que ceux qui ont servi comme fondement idéologique pour l’unité arabe au cours du siècle dernier ont brulé leur part de rêves et d’idéalisme pour être aujourd’hui en porte à faux par rapport à l’air du temps. La période des oracles et des sibyllins, des vocables et des concepts creux ressassés, du romantisme idéologique, de la surabondance des sentiments et de l’affectivité, de la fixation obsessionnelle sur le passé, est complètement révolue. Un compromis intelligent et modéré, entre l’inspiration ancienne et l’adaptation aux temps modernes, doit nécessairement se dégager en vue d’asseoir les fondements d’une nouvelle conception du travail arabe commun. Il s’agit de considérer en particulier les états existants, non pas comme des entités factices et d’entraves à l’unité arabe, mais un fondement, un palier que ne saurait enjamber le processus de l’intégration arabe. Il s’agit de faire de ces pays des états démocratiques, garants des libertés fondamentales, de la justice sociale, de la participation active et effective de la femme et de la jeunesse, de la distribution horizontale des richesses du pays et dont les potentialités seront exclusivement focalisées sur l’éducation, la science et le progrès politique, socio-économique et culturel. L’exemple de la Mauritanie d’aujourd’hui est à ce titre éclairant.
En second lieu, l’unité arabe escomptée doit être avant tout, à l’instar de l’exemple réussi de l’Union européenne, une intégration économique graduelle qui, elle seule, renforce les autres facteurs de l’unité et élimine tout danger de leur remise en question ; elle doit aussi se réaliser autour d’un pays-phare servant de locomotive et qui recèle de grandes potentialités économiques, démographiques, spirituelles et militaires, comme l’Arabie Saoudite d’aujourd’hui. Seule cette union progressive et bâtie sur des projets économiques communs et complémentaires est à même de susciter l’adhésion consciente des peuples, gage de sa pérennité.
En troisième lieu, la mise en œuvre d’une stratégie sécuritaire commune s’avère pressante et doit être traduite, entre autres, par la création d’une force arabe conjointe en raison des menaces et des atrocités des groupes terroristes opérant à l’intérieur de nos pays, mais aussi pour contrecarrer les défis régionaux visant aujourd’hui la modification de la géopolitique de la sous-région. Là aussi, cette stratégie arabe, en matière de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme, et de la surveillance des frontières, pourrait fortement s’imprégner de celle mise en œuvre avec réussite en Mauritanie.
Par l’adoption de cette nouvelle stratégie, le sommet de Nouakchott sera ainsi, sous l’impulsion du président Aziz, le point de départ d’une union arabe retrouvée, fondée exclusivement sur une vision moderniste du travail arabe commun, la seule à même de rompre définitivement avec la situation actuelle de désespoir ; la seule aussi qui potentialiserait davantage les effets induits politiques et économiques de notre situation géostratégique et de nos importantes ressources minières. En d’autres termes, la seule qui permettrait à des virtualités jusqu’ici décousues et inaccomplies de se cautionner les unes les autres, de réconcilier harmonieusement les symboles et l’exigence pratique des temps modernes au service de cette cause sublime : l’action arabe commune.
Docteur Abdallahi Ould Nem
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