Le temps des Prétoriens (1900-1910) Extrait de la Revue ATTALIM n°27 /1996
En juin 1905, après la mort de Coppolani et le regain d’activités de la résistance animée et entretenue
par la citadelle de l’Adrar, un coup d’arrêt est donné à la pénétration vers l’Ouest. La fin de l’année sera
relativement calme comme si chacun fourbissait ses armes.Dès février 1906 éclatent des incidents au Brakna et notamment près d’Aleg et à Cheggar entre les guerriers de la région et des détachements français. Si l’Adrar est un objectif stratégique pour la conquête et si la stabilité des cercles de la Mauritanie (Tagant, Brakna, Trarza) est une préoccupation pour l’administration française, le reste du pays, même s’il ne connaît pas de soulèvements armés d’envergure, expérimente cependant des actions sérieuses de résistance passive et active quoique isolées.
Ainsi au Guidimakha où une affaire d’empoisonnement de puits utilisés par les forces d’occupation a été constatée en 1906, l’année 1907 ne fut pas de tout repos. Amadou Cissé est déporté à Nouadhibou. Un chroniqueur note : « la famille de Cissé est très hostile à la domination française comme le montre sa participation très active à la révolte de Mamadou Lamine. Il accuse particulièrement Amadou de « prédications intenses » pour provoquer l’émigration du pays sarakollé vers le nord et l’isolement du poste de Sélibaby (1905-1906) et son rôle extrêmement louche dans la tentative d’empoisonnement des Européens du poste. Un troisième clan, celui des Camara, se distingue aussi en cette année 1907 par son hostilité aux français, par ses prédications et ses agissements .
Sur les autres fronts, le feu couve toujours sous les cendres. En octobre 1906, l’attaque de Niemlane sera sévère pour les français où deux de leurs détachements seront anéantis avec des pertes sérieuses dont deux officiers. Un mois après, une escarmouche oppose au Trarza un détachement français et une « bande composée d’Oulad Bousba, d’Oulad Dleïm et d’Euleb ».
Les français s’empressent de mettre sur pied trois sections méharistes : l’une à Boutilimit rattachée aux compagnies du Trarza, les deux autres (qui ne verront la fin qu’en 1908 à la veille de l’occupation de l’Adrar) à Tidjikja et à Moudjéria rattachées aux compagnies du Tagant. Cette initiative des sections méharistes coïncide avec le formidable siège de Tidjikja (le 2ème en 18 mois) entrepris par les gens de l’Adrar, les Oulad Bousba, les Idawich et Mechdouf principalement. Le poste ne sera dégagé qu’en décembre. L’opération se soldera pour les français par la perte de 7 Européens (dont deux officiers) et 13 tirailleurs.
Cette même année 1906, grâce au regain d’activisme de la résistance, « le consortium de nos grands ennemis : Ahmedou ex-émir du Brakna, Mohamed El Mokhtar (Ould Hamed – NDLR) chef des Kounta du Tagant et Othmane Ould Bakar, Emir des Idawich écrivent à Cheikh Sidia et Ahmed Salem Ould Brahim, Emir du Trarza, pour les inviter à évacuer le pays et à se joindre à eux ».
Cette année 1906 est une année-charnière ; un véritable débat éclate au grand jour (il était latent depuis 7 ans) entre les partisans et opposants de l’occupation de l’Adrar. La presse et les lobbies s’affrontent pour faire triompher leurs thèses opposées. Faisons une chronologie des appétits rampants vers l’Adrar et la Haute Mauritanie, et la mobilisation de l’opinion (sous divers prétextes) à cette fin et pour l’occupation des « pays maures » en général.
En 1897, une monographie de 30 pages intitulée « notice sur les Maures du Sénégal et de Soudan » est rédigée par le commandant R. de Lartigue qui dirigeait la région du Sahel.
Très inexact, forcément, par les lieux, localisation des tribus, etc., l’article cependant renferme beaucoup d’informations exactes et étonne par l’ampleur de la zone géographique considérant le nombre de tribus citées. Toutes les villes (Atar, Bassiknou, Chinguetti, Kara, Ouadane, Oualata, Tichitt) sont citées à part Ksar El Barka, Aoujeft et Tidjikja. Si en Adrar, seuls les Kountas sont nommés, toutes les grandes tribus du Hodh, de l’Assaba et du Tagant de l’époque ont été étudiées. Plus tard, une étude plus précise paraît en 1900 posant un certain nombre de questions :
1) Y a-t-il pour la France un intérêt politique et commercial à poursuivre l’œuvre de pénétration (déjà entreprise au Sahara central et oriental – NDLR) dans le couloir de l’Adrar et à asseoir son influence dans la région intermédiaire que bordent au Nord, Oualata, Tichitt, Chinguetti.
2) Si cet intérêt existe, comment doit être comprise cette pénétration?
3) Comment peut-elle être préparée et pacifiquement réalisée ?
L’auteur qui ne signe pas l’article oppose l’ »organisation et la discipline » françaises à « l’anarchie et désordre » des Maures. Il met en relief également, manifestement pour faire taire des oppositions, la supériorité française en matière d’ »armement » et de « technique » même s’il reconnaît l’ »intelligence » des maures.
En l’étude datée de Nioro en juin 1899, l’auteur répond aux trois questions posées :
1° – II y a intérêt politique et commercial à asseoir l’influence de la France dans le Sahel et au débouché Maroc-Adrar. A assurer d’une façon permanente sécurité et tranquillité des établissements français du Nord du Soudan et les colonies du Nord et de l’Ouest de l’AOF.
2° – L’extrême indécision des maures, leurs caractères, les diverses conditions de leur existence imposent de prendre pied dans leurs marchés d’échange (Chinguetti, Tichitt, Oualata) pour imposer aux tribus « les conditions que nous fixerons et à limiter leurs terrains de parcours ».
3° – « Cette opération ne doit pas revêtir le caractère d’une opération militaire mais pacifiquement, sans difficultés comme une chose naturelle », grâce l’influence dont dispose la France. Les objectifs tracés au début du siècle alors qu’aucune présence française effective n’existait sur la rive droite du Sénégal deviennent impératifs à réaliser alors que le Hodh, le Gorgol, le Trarza, le Brakna et le Tagant sont conquis et sont menacés par « les bandes de pillards » qui trouvent refuge dans les oasis de l’Adrar.
Ainsi, un chroniqueur autorisé est catégorique en 1906 : « … la question de l’Adrar ne semble plus être « fermée ». L’occupation permanente ou temporaire de ce centre assurera seule la sécurité de la Mauritanie et la rive droite du Sénégal. Elle s’impose pour des raisons d’humanité et est également dictée par des nécessités politiques et militaires.
La même revue se débarrasse des sous-entendus pour assurer sans ambages : « … l’Adrar et la Saguiet el hamra sont devenus pour cette partie de l’Afrique ce qu’ont été longtemps pour le sud algérien, les oasis sahariennes et pour Tombouctou, la rive gauche du Niger, un foyer de menées anti-françaises, le refuge du banditisme et du fanatisme » (sic – NDLR).
Une autre publication traduit mot à mot les affirmations qui précèdent en écrivant : « … une raison d’humanité élémentaire nous commande donc impérieusement de mettre fin aux agissements des négriles de Tarf’aya et de l’Adrar, l’échec de leur chef Ma’el Aïnin aurait, de plus, une portée considérable dans les villes du Maroc où il vient d’essayer de provoquer des mouvements anti-européens ».
Tout est dit. Et le nom de Cheikh Melaïnine (…) est lâché comme sont expliqués les mots : « menées anti-françaises », « banditisme » et « fanatisme », etc. Quoi qu’il en soit, les deux camps se préparent à l’affrontement en 1907.
A) Dans le cas de la résistance
Il y a un calme relatif, mais engageant cependant en mars 1907 des « Euleb à Sahwet el Ma » et des dissidents Trarza en avril près de Boutilimit et enfin à Kroufa.
En mai, une rezzou Idawich et Awlad Bousba attaque le Gorgol. Et en juillet un fort parti d’Awlad Dleïm et d’Awlad Bousba attaque les postes du Trarza. Mais l’événement majeur de cette année sera le « départ de la Sorba au Maroc d’une « députation » des dissidents du Sud réfugiés dans l’Adrar et des gens de ce pays. leur émir en tête en 1907″.
Le Général Gouraud commentera, quelques années plus tard, cette « députalion » : « … aussi ces montagnards jusque là jaloux de leur indépendance et ne se souciant en aucune façon du Maroc furent-ils amenés à tourner leurs regards vers le Nord et à réclamer l’assistance du Sultan. Cette étonnante unanimité nationale et la députation auprès du plus puissant Etat musulman du voisinage dénotent une grande prise de conscience du danger imminent de la communauté d’intérêts entre composantes de l’ensemble maure ».
B) Dans le camp français
L’organisation et la méthode sont de règle, une phase délicate de leurs objectifs stratégiques était à la croisée des chemins. Elle sera minutieusement préparée :
(1) l’occupation de l’Adrar était un objectif stratégique incontournable;
(2) Xavier Coppolani, malgré son pacifisme, avait déclaré le 19 janvier 1905, comme précédemment rapporté, « au Tagant et en Adrar, la porte de la Mauritanie est gardée ; c’est par la force qu’il faudra l’enfoncer ! ». Pour « enfoncer » la porte de l’Adrar, il faudrait accepter de payer le prix fort : en vies humaines, en dépenses matérielles;
(3) il faut donc faire taire le lobby opposé à la colonisation de la Mauritanie et éventuellement basé dans les villes sénégalaises (4 communes). Il faut aussi préparer l’opinion française à avaler des couleuvres;
(4) il fallait satisfaire les exigences du Gouverneur Général de l’AOF William Ponty en 1905.
« Aucune tentative ne peut être faite de ce côté (l’occupation de l’Adrar) tant que deux outils de guerre appropriés aux besoins spéciaux ne seront pas créés :
- un service de renseignements nous permettant de ne rien livrer au hasard ;
- de solides unités méharistes disciplinées et entraînées.
A cette fin, plusieurs directions complémentaires seront menées de front :
a) A l’intérieur des terres non encore occupées et singulièrement l’Adrar et en plus de la somme d’informations glanées auparavant par Fabert, Vincent et la mission Blanchet, ou fournies par des commerçants Adrarois se rendant en territoire mauritanien et sénégalais sous contrôle français, un service sommaire de renseignement (quoi que d’une fiabilité médiocre) a été monté.
b) En 1906, une unité saharienne spécialisée a été créée à Boulilimit et deux autres (voir plus haut) créées à Tidjikja et Moudjéria mais qui ne seront opérationnelles qu’en 1908, au moment crucial du déclenchement de la campagne de l’Adrar.
c) Une opération de pression diplomatique sur le Maroc et de diabolisation de Cheikh Melaïnine a été lancée pour diminuer les sources d’approvisionnement en armes et munitions de Cheikh et pour lui aliéner une opinion occidentale prête (hier comme aujourd’hui) à lapider, au sens propre et figuré, le Satan qu’on lui offre. Disons pour la vérité que Cheikh Melaïnine était suivi par les renseignements français bien avant le choc frontal avec lui à l’occasion de la mission Coppolani. En effet, en 1897, une revue coloniale rapportait cet entrefilet insolite câblé par son correspondant au Maroc : « … la cour marocaine a reçu récemment la visite d’un haut personnage religieux qui arrivait des contrées lointaines du Sahara occidental et pour parler avec plus de précisions de Chemguit (sic), localité voisine de l’Adrar (resic), région située ainsi que l’on sait au nord du Sénégal et, qui, par certaines côtés (souligné par M.S.O.H) intéresse la politique de notre colonie … ». Et la revue d’ajouter : « … Ce Mâ-el Aïnin, qui est un personnage très considérable, au point que son autorité spirituelle et temporelle est incontestée de l’Adrar au Cap Bojador… ».
Enfin la dépêche se termine par ce commentaire-conclusion de la rédaction sans doute, qui, rappelons-le est source quasi-autorisée: « …On comprendra l’intérêt que nous avons à connaître les causes réelles de ce voyage et à exercer notre vigilance ».
En 1905, après la mort de Coppolani et le siège de Tïdjikja par des ressortissants du Sahel, de l’Adrar et des autres régions du pays, le remplaçant du Commissaire, un militaire, le Colonel MONTANE-CAPDEBOSQ transmet copie d’une lettre saisie de Cheikh Mekiïnine et adressée à Ould Aïda. Ehel Sidi Mahmoud, Oulad Ahmed, les Ehel Soueïd Ahmed et Mechdhouf en faisant le commentaire suivant :
« Cheikh Melaïnine, adversaire résolu de notre pénétration dans l’Adrar, usant de l’influence profonde dont il jouissait auprès de la secte des Goudhfiya, entreprit à l’aide de celle-ci, contre mon regretté prédécesseur une campagne des plus violentes dont le dénouement fut l’assassinat à Tidjikja du représentant de la France ».
Le Gouverneur Général Roume à son tour transmettait le dossier au Ministre des Colonies à Paris : « … il résulte avec évidence (sic) que les menées directement hostiles à notre influence que je vous ai signalées déjà se poursuivent et s’accentuent. Elles ont leur siège dans la région de Saguiet el Hamra et sont dirigées par Cheikh Malaïnine au nom du Sultan du Maroc… Il serait également très désirable d’une part de rechercher les ramifications de la secte des Goudhfiya au Maroc et d’autre part de savoir comment se font les envois d’armes et de munitions dans l’Adrar…. ».
Ces deux missives feront partie de la documentation du « livre jaune » sur la participation du Maroc aux affaires mauritaniennes ». Entre autres responsabilités, Cheikh Melaïnine ferait débarquer des armes et des munitions par des contrebandiers espagnols et allemands et les fait acheminer en Mauritanie. En mai 1907, les protestations du Consul de France auprès du Sultan obtiennent une satisfaction apparente. Le « Makhzen » rappelle officiellement Moulaye Driss et promet (une fois de plus) de « faire cesser les livraisons d’armes et de munitions à Cheikh Ma el Aïnin ».
Le Sultan fait même une demande auprès du Capitaine espagnol Farian le 14 janvier 1908 pour appuyer sa décision d’empêcher le ravitaillement de Cheikh Melaïnine en armes et munitions. Pourtant, le Cheikh ne discriminait pas les français, comme le pense le jeune Général Gouraud quand il affirme : « Cheikh Melaïnine a créé un ordre nouveau dont les affiliés doivent jurer hostilité à la pénétration française… ».
Dans une conférence prononcée à la « Réunion d’études algériennes » à la veille de la campagne de l’Adrar, et peut-être avec le secret dessein de renforcer le camp des interventionnistes au sein de l’opinion, le prédécesseur de Gouraud, le Colonel MONTANE-CAPDEBOSQ enfonce le clou :
« … En fait, les principales difficultés que nous avons jusqu’ici rencontrées en Mauritanie sont toujours venues de l’extérieur (sic) et ont constamment révélé l’action personnelle et prépondérante de Cheikh Melaïnine. En mai 1905, l’assassinat de Coppolani a été certainement accompli sous son information… ».
Dans cette conférence intitulée « La question de Mauritanie » (1905-1908), le Colonel MONTANE-CAPDEBOSQ conclut : « … A la fin 1906, l’invasion du Tagant par les tribus dissidentes de l’Adrar… n’était encore due qu’à ses agissements et aux intrigues qu’il avait poursuivies à Fez et à Marrakech. Enfin tout récemment, le mouvement offensif repris par les dissidents contre notre (sic) territoire n’est manifestement produit qu’à son instigation… ». Pourtant, une historienne française implicitement lave le Cheikh de l’accusation de discrimination de la France :
« Cheikh Melaïnine, dit-elle, s’opposa aux espagnols qui cherchaient à s’installer à Rio de Oro et aux anglais qui favorisaient Cap Juby ». En somme, le Cheikh, lui, n’était à la solde de personne, hormis son Dieu ! Malgré son air fort sévère, le Colonel MONTANE-CAPDEBOSQ lui-même apporte un témoignage qui détruit sa diatribe précédemment citée. Il affirme : « l’intransigeance (de Cheikh Melaïnine) n’est pas tellement irréductible ». Et il précise plus loin : « … moi-même au courant de 1907, j’avais pu engager avec son fils aîné Cheikh Hassena, des pourparlers qui ne furent malheureusement interrompus que par des causes indépendantes de notre désir commun de concilialion » ( !!!).
Mais la diabolisation du Cheikh autorise toutes les cécités et la manipulation de l’histoire. En plus d’une opinion publique acquise, du lobby « Sénégalais » jugulé, des conditions de William Ponty satisfaites, le commandement français en Mauritanie avait un prétendant possible à l’Emirat de l’Adrar en la personne de Sid’Ahmed Ould Mokhtar Ould Ahmed Aida arrivé quelques années à Tidjikja avec son père après l’avènement de l’Emir irréductible petit cousin de l’un, petit neveu de l’autre.
Parallèlement aux préparatifs d’invasion de l’Adrar à partir du Tagant et des efforts de division du front de la résistance, le commandement français observe les rassemblements de la résistance et accumule les informations. Au début de 1908, la fameuse Sorba rentre du Maroc avec à sa tête Cheikh Hassena et la volonté ferme de s’opposer aux français.
Ainsi, en janvier et février 1908, des engagements violents opposent à Lebeyratt et à Grarett Levrass des détachements d’éclaireurs français aux gens de l’Adrar. Engagement aussi les 12, 14 et 15 mars à Kala et à Yaghref entre des détachements français et un front commun composé d’Ideichelli et’dissidcnts du Trarza et du Tagant et de l’Est mauritanien dirigés par le jeune Emir Sid’Ahmed Ould Ahmed Ould Sid’Ahmed. Deux officiers français sont parmi les morts de ces derniers engagements (les lieutenants Repoux et Schmitt).
Le 8 août, un convoi militaire français est détruit à Demane, près d’Akjoujt. Le 14 juin 1908, ce n’est plus entre Atar et Akjoujt que les engagements ont lieu, mais au Tagant à El Moïnan où le détachement du Capitaine Mangin (frère du Colonel et futur Maréchal) surnommé « Boudars » (en raison d’une dent en or) est anéanti par les Awlad Sassi des Ideïchelli et son chef tué.
Les renseignements français indiquent trois concentrations de forces « ennemies » :
l°. Autour d’Atar, ce sont sous la direction de l’Emir SidAhmed, lesYahya ben Othmane renforcés par les Ideïchelli, les Kountas et « les dissidents » du Trarza, du Tagant et du Hodh.
2°. A Ouadane et autour des Awlad Ghaïlane, ce sont Ahel Sidi Mahmoud, les Kedadra et les Amgarij.
3°. De l’Inchiri et le Tijiritt jusqu’à l’Adrar Tmar, ce sont les Awlad Lab, Awlad Bousbaa, Awlad Dleïm et certains « dissidents ».
Un élément essentiel, les R’Gueïbatt, a pu être provisoirement détaché de la résistance grâce à une convention négociée en novembre 1907 par l’entremise de Babe Ould Cheikh Sidia. Un rapport de situation du 1er semestre 1907 constate étonné : « En Adrar les tribus guerrières de ce pays, cependant jalouses de leurs privilèges et de leur suprématie, continuent à leur accorder une large hospitalité.
La campagne de l’Adrar 1907-1910
Au lieutenant-colonel MONTANE-CAPDEBOSQ, malade, va succéder un officier supérieur plus jeune, plus dynamique, ancien du Tchad et du Soudan : le lieutenant-colonel Henri Gouraud. Il reçoit une lettre, en date du 23 juillet 1907, du ministre des Colonies, transmettant une dépêche du gouverneur général de l’AOF, M. Roume, le désignant comme commissaire du gouvernement en Mauritanie, la raison du fait qu’il est « un chef militaire très expérimenté notamment en ce qui concerne les organisations méharistes ».
Après un intérim du 1er août au 30 octobre 1907 du Commandant Patey, Gouraud, au début de sa mission, reçoit cette instruction du Gouverneur Général William Ponty (qui a remplacé son ami Roume) : « les tribus maures tirent leur subsistance de trois régions le fleuve, le Tagant et l’Adrar… Il suffit d’être les maîtres de ces centres de ravitaillement pour l’être des tribus maures elles-mêmes ; nous possédons déjà le fleuve et le Tagant, il nous reste à assumer notre autorité sur l’Adrar ».
Le Gouverneur Général précisera par ailleurs : « notre pénétration dans l’Adrar supprimera un danger qui menace d’une manière permanente notre établissement en Mauritanie ». « Les notes du carnet du Commissaire du Gouverneur Général sont révélatrices à ce sujet.
« J’ai déjà vu beaucoup de maures cette semaine. Une grosse tribu du Nord Ouest de l’Adrar, les Regueïbatt, a envoyé cinq délégués », pavoise Gouraud. Mais il note aussi, par ailleurs, « j’ai eu à enregistrer deux rezzous, l’empoisonnement des puits d’un poste et un courrier volé » et le Colonel de conclure plein d’humour : « c’est assez coquet n’est-ce pas pour un territoire civil ».
Gouraud sent la proximité obsédante du territoire qu’il aura à conquérir sous peu : « les pays maures commencent aux portes même de Saint-Louis et la langue de barbarie sur laquelle s’élèvent les faubourgs de la ville en est même une des régions les plus déshéritées ».
Le 25 décembre 1907, Gouraud est promu Colonel et son premier contact avec la Mauritanie aura lieu en janvier 1908.
Le 15 février il a, à Boutilimit, des pourparlers avec les notabilités du Trarza, palabres avec Cheikh Sidiya et les principaux chefs du Trarza. Seuls les palabres avec le Cheikh ont présenté de l’intérêt, note le chef militaire. Séduit, le prétorien décrit Babe comme »un homme intelligent, instruit ». Il conclut dans ses mémoires ses observations sur le Cheikh par cette formule énigmatique : « … il est très au courant des affaires du Maroc, mais il en parle avec discrétion… ».
Ce même mois de février 1908 et de ce même Maroc retournent « les chefs de l’Adrar… rapportant encouragements, armes et cartouches », note encore Gouraud. Ils provoquent surtout la fin de la quiétude « relative » dont a joui le Colonel depuis son arrivée. Il continue à partir de Boutilimit son chemin : 21 février à Aleg, le 26 à Cheggar, le 28 à Crimi et le 2 mars à Moudjéria.
A Foum El Batha, le 7 mars, il note : « … les Maures sont excellents comme éclaireurs, ayant le sens du désert, mais la force combattante fidèle, c’est le Sénégalais… ».
Le 8 mars, Gouraud est dans la TamourtEnNaj ; le 10 à la Guelta de Taourta. le 11 à Niemiane et, enfin, le 21 Mars à Tidjikja.
« Le Tagant, écrit-il, avec ses paysages de roches sévères, est autrement beau que le Trarza avec ses dunes parallèles et que les immenses plaines broussailleuses du brakna. Au point de vue politique et militaire, c’est autre chose… ». Bien sûr !
Les échos de l’ »agressivité » des gens de l’Adrar est des autres combattants maures fuyant l’occupation se retrouvent dans les notes quotidiennes du Colonel Gouraud.
« L’Adrar, en effet, citadelle de pierre au milieu des sables, est en même temps avec ses quarante palmeraies, les dattes, l’orge et le blé qu’elles produisent un véritable grenier du désert », note Gouraud en mai 1908, pensif et préoccupé sans doute. Il ajoute plus loin : « 250 km à peine séparent l’Adrar du Trarza et du Brakna et les dissidents, une fois rentrés dans l’Adrar,… recèlent ou écoulent à leur gré leur butin dans les quatre ksours d’Atar, Chinguetti, Ouadane et Aoujeft… »
Le rapport du Gouverneur Général militaire Ponty au Ministre des Colonies ne dit pas autre chose quand il écrit : « … L’occupation de ce groupe d’oasis de l’Adrar est une nécessité inévitable pour la sécurité de la Mauritanie saharienne ; elle faisait partie du programme de la mission Coppolani dont l’exécution a été seulement différée par la mort de son chef ». Et le Gouverneur Général del’AOF d’ajouter : « nos droits éventuels n’étant contestés par personne, nous pouvons par conséquent choisir le moment le plus favorable pour agir dans ce pays (l’Adrar) ».
En cette année 1908, la hardiesse des résistants s’accroît malgré ou peut-être à cause des préparatifs offensifs de la colonne Gouraud. Alors que le poste d’Akjoujt est bloqué depuis le 22 mai, sa garnison est décimée par le béribéri ; les Français, comme dit plus haut, subissent un désastre à El Moïnan (à la limite des oglats de l’Adrar et du Tagant) avec la destruction du groupement méhariste de Tidjikja et la mort de son chef, le Capitaine Mangin.
Le lendemain, 14 juin à Talmest, le groupe de spahis algériens est décimé. Le 20 juillet attaque de Nouadhibou par une partie d’Awlad Dleim et certains autres gens du Sahel et le poste d’Akjoujt dont une partie de la garnison, repliée à Nouaramach (120 km au Sud d’Akjoujt), est encerclé en juillet avant d’être évacué totalement en septembre vers Bourjeimatt.
Le 10 août, Tidjikja, malgré un renfort en artillerie et en hommes, est attaquée par un groupe dirigé par Ould Hamed. En réplique, les Français investissent Rachid, le 16 août, et y maintiennent une garnison. En septembre, attaque de Kiffa par les Awlad Ghaïlane et à 8 km de Boutilimit par les Euleb.
Engagement aussi à Souet-el-ma le 18 octobre entre partisans de Ahmed Ould Deïde et le poste français. Enfin, juste à côté des rassemblements de la colonne de l’Adrar, les Idawich et les gens du Brakna attaquent Letfatar les 15 et 18 novembre.
De mars à décembre, sur l’ensemble du territoire mauritanien, on a dénombré 125 attaques qui ont coûté aux Français des tués : 5 officiers et 6 sous-officiers européens, 130 tirailleurs et spahis, sans compter les blessés ni les partisans maures plus des pertes incalculables en bétail », note le Colonel Gouraud qui constate aussi : « … tous les bons chameaux ont disparu » (?).
A la veille de la campagne de l’Adrar, c’est un mauvais signe et cela commence à coûter vraiment cher. « Dès les premiers mois de 1908, les français vers les postes n’ont passé qu’en combattant », assure l’historienne Geneviève Désiré-Vuillemin dont. le père a fait partie de la campagne de l’Adrar.
En plus donc des préoccupations déjà énumérées, le commandement français se fixe la priorité immédiate d’arrêter l’offensive remarquablement menée des résistants Maures qui ont déjà atteint deux objectifs majeurs. « Les Maures avaient atteint les deux objectifs majeurs qu’ils s’étaient assignés : la destruction du poste avancé d’Akjoujt et celle de nos troupes mobiles ».
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