S’il y a une question qui pose problème au président français en matière de politique étrangère, c’est bien le cas du Mali. La « junte militaire illégitime », comme lui-même et son ministre des Affaires étrangères qualifient les autorités de Transition de Bamako, ne cesse de le défier.
Un retrait militaire prématuré
La crise diplomatique entre les deux parties est telle que la France se trouve dans une situation peu confortable quant au déploiement de sa force Barkhane et de la force européenne Takuba supposée la remplacer au Sahel. Les retirer du Mali plus tôt que prévu est l’option qui se dessine à court terme.
Dans ces circonstances, l’opération risque de ne pas se dérouler dans les meilleures conditions souhaitables. Au plan logistique, elle est lourde et compliquée à conduire. Manquant de gros porteurs aériens, les forces françaises se verraient obligées de chercher des solutions ailleurs. Comme par exemple : louer des Antonov auprès de l’Ukraine ou s’adresser aux Américains pour avoir leur soutien sur ce plan. Autre solution de retrait militaire, via les voies terrestres, est d’autant plus problématique qu’elle risque de se heurter à des populations locales assez remontées contre les militaires français et occidentaux en général. Il est à craindre qu’elles bloquent les convois qui traverseront le pays, rééditant les incidents de novembre dernier quand le déplacement à partir de la Côte d’Ivoire vers le Mali, d’un convoi logistique français, fut gravement perturbé, d’abord au Burkina Faso, puis au Niger, entrainant la mort d’hommes parmi les contestataires civils qui le bloquèrent.
A ces contraintes, d’ordre logistique et politique, s’ajoute l’insécurité du fait de la dissémination de criminels organisés en bandes armées et de combattants « djihadistes» dans les zones à traverser. Ces derniers feront normalement tout pour exploiter la situation. En fins calculateurs tacticiens, encouragés et enthousiasmés, par le retrait des militaires français à la hâte, ils n’épargneront aucun effort pour les supplanter partout où sera « jouable ». La victoire des Talibans, suite au retrait chaotique des Américains, les hante, comme exemple à suivre. Intensifieront-ils leurs opérations militaires contre le régime malien pour le faire tomber et prendre le pouvoir, comme ont fait les Taliban en Afghanistan ? Si telle est leur intention, dans quelles mesures réussiront-ils ? Certes, comparaison n’est pas raison : le régime malien n’est pas celui de Kaboul au moment de l'arrivée des Talibans. Toutefois la question mérite d’être posée ne serait-ce qu’à titre de précaution.
Un Mali incontournable dans un Sahel plus menacé que jamais...
Outre les trop gros risques que font peser les « Djihadistes » sur le pays, les autorités maliennes ne sont pas à l’abri de menaces de déstabilisation, provenant de l’intérieur, de leurs propres forces armées. Dans ce cas, qu’est ce qui garantit que la France n’y prendra pas part sous une forme ou une autre en vue de punir les autorités de Transition ? Qu’elle le fasse ou non, elle échappera difficilement à l’indexation de complicité avec les auteurs ou présumés auteurs de déstabilisation.
Plus globalement, quelles seront les conséquences et impacts d’un tel retrait prématuré sur la stabilité du Sahel et sur la lutte contre le terrorisme dans la région? La dernière série de coups d’état militaires, réussis ou avortés, montre la fragilité des systèmes politiques en place et leur sensibilité au moindre déséquilibre politique ou stratégique. En outre, la « cenralité » du Mali dans le champ de bataille fait qu’il est inimaginable d’en exclure ce territoire, deux fois grand comme la France, en redéployant le dispositif militaire. Comment prendre cet impératif géostratégique en compte si Barkhane, Takuba et l’EUTM (la Mission de formation de l’Union européenne au Mali) se retiraient du pays ? Et que ferait la MINUSMA dont d’importants contingents sont livrés par les alliés européens de la France ? Le Conseil de sécurité la maintiendra-t-il en place et dans quelles conditions : pour quelles missions, dans quel format ? Avec quels financements, et quels moyens humains… ?
Toutes ces interrogations doivent interpeller le président français. Sa candidature à sa propre succession ne faisant aucun doute, il sait que ses adversaires aux prochaines élections présidentielles ne lui feront pas de cadeau sur ces dossiers hyper sensibles.
C’est vrai que les questions de défense et les questions militaires n’occupent généralement pas trop de place dans le débat politique lors des élections françaises. On remarque cependant qu’elles s’invitent déjà dans les prochaines présidentielles. Les candidats de l’extrême droite, Marine Le Pen et Éric Zemmour, rivalisent de tentatives pour s’en saisir afin d’affaiblir Macron et d’améliorer leurs scores dans les sondages d’opinion.
D’autres voies opposantes s’ajouteront à eux. La candidate « LR » (Les Républicains) est sortie de son silence au sujet de la brouille avec le Mali. Plutôt maladroite, Valérie Pécresse se demanda il y a quelques jours : « "d'abord, qu'est-ce que l'ambassadeur du Mali fait encore en France ?" Or ce dernier a été rappelé par son pays depuis une année.
Sous le même angle, en déphasage avec la réalité, la candidate du « RN » (Rassemblement national), déclarait le 31 janvier dernier sur CNEWS « "qu’il faut immédiatement renvoyer évidemment l’ambassadeur du Mali, qui devrait, au moment où on se parle, déjà être dans l’avion".
Un déclin difficilement réversible
N’étant pas à l’aise sur le champ sahélien, à la fois militaire et géopolitique, les deux dames trouveraient, peut-être, des arguments plus conséquents sur le front économique pour combattre l’occupant de l’Elysée et se mesurer aux autres concurrents.
Le déficit commercial leur en offre en principe. Sur ce point, une mauvaise nouvelle pour Macron vient de tomber : au cours de l’année dernière, le déficit commercial a atteint un record que la France n’a jamais connu. Selon les chiffres donnés par la Douane ce 08 février, il est de 84,7 milliards d’euros, soit une augmentation de 30% par rapport à 2020. Il accapare tellement l’attention au point de faire passer toute autre information économique positive à un second plan. Le très bon taux de croissance inattendu, de 7%, enregistré par l’économie française en 2021, est presque vite oublié pour céder la place aux commentaires et explications inquiétants se rapportant à ce déficit commercial inégalé dans l’histoire du pays. Sont mises en avant la lourde facture énergétique mais aussi et surtout la désindustrialisation.
Ce dernier facteur pèse lourd dans les esprits. Il est, en effet, révélateur d’une évolution générale structurelle du paysage géopolitique mondial où la France perd de plus en plus vite de son prestige et de sa force d’influence dans les relations et équilibres internationaux. La tendance semble difficilement réversible à moyen terme.
Des sources françaises très sérieuses[i] indiquent que l’économie française fait 1% du PIB mondial ; son PIB la classe au 6ème ou 7ème rang mondial selon les années, avec un poids dans les équilibres mondiaux, qui s’amenuise d’année en année : le PIB chinois est passé de 1,6% du PIB mondial dans les années 1990 à 16% aujourd’hui, le PIB français de 5,6% à 3%.
Toujours selon la même source, « si l’on raisonne en termes de PIB à parité de pouvoir d’achat, la France occupe la 10ème place derrière la Chine, les Etats-Unis, l’Inde, le Japon, l’Allemagne, la Russie, l’Indonésie, le Brésil et le Royaume-Uni. Et si nous continuons sur la même trajectoire, la France aurait dégringolé (…) dans huit ans entre le 16ème et le 20ème rang ».
Cette tendance au déclin n’est pas le propre de la France ; elle frappe l’Occident de façon générale, mais à des rythmes variables selon les pays. Paradoxalement, les solutions en vogue pour son traitement ne favorisent pas les forces de progrès politique, mais plutôt les mouvements rétrogrades et extrémistes, de gauche comme de droite. D’où la montée en puissance et les progrès éclatants réalisés par les mouvements populistes, xénophobes et racistes, lors des élections dans les nations dites « démocratiques ».
Une situation complexe qui pèsera de tout son poids sur les présidentielles françaises qui auront lieu dans quelques semaines. Macron en est conscient. Le fait qu’il retarde aussi longuement l’annonce de sa candidature n’est certainement pas étranger aux incertitudes qui entourent l’avenir.
Une stratégie de tâtonnement
Selon les sondages, le futur candidat à un second mandat à l’Elysée reste favori. Néanmoins, sa sérénité et les mouvements d’opinion en sa faveur ne sont pas à l’abri de coups inattendus à cause du déficit commercial inégalé dans l’histoire de son pays et à cause des difficultés, militaires et politiques, que rencontre la France au Mali. Son retrait prématuré de ce pays, qui se profile à l’horizon, risque d’en rajouter aux problèmes et défis sécuritaires dans le Sahel et au recul de l’influence et du poids de Paris dans le jeu des équilibres géopolitiques mondiaux, ouvrant la voie à d’autres intervenants dans la région : Russes, Chinois, Turcs, Indiens... ne tarderont pas à venir. Ils ne sont déjà pas du tout loin !
Une situation qui aura inévitablement des répercussions sur la campagne présidentielle française. Elle impactera en premier lieu celui qui est aux commandes du pays et candidat à sa propre succession. Seulement, sa boussole stratégique ne semble pas suffisamment opérationnelle. Elle suscite beaucoup plus de questions qu’elle n’indique de directions à suivre pour sortir du bourbier sahélien et pour relancer l’industrie française. Sans vision stratégique, claire et efficace, c’est le tâtonnement qui guide aujourd’hui la France.
En face, il est légitime que les Etats et peuples africains s’inquiètent et cherchent à varier leurs partenaires stratégiques et économiques. De son côté, Macron doit accepter d’accompagner le courant pour ne se pas se faire emporter par le vent qui souffle sur la « Frnçafrique ». Une françafrique dont il n’arrive pas à se démarquer, et cherche plutôt à la masquer sous un habillage nouveau en explorant du côté d’acteurs non gouvernementaux, de la jeunesse et des diasporas africaines. Seulement la démarche a montré ses limites, notamment lors du sommet Afrique – France organisé en octobre dernier à Montpellier.
El Boukhary Mohamed Mouemel
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