Après la répression sanglante du sit-in des forces démocratiques demandant la restitution du pouvoir aux civils devant le QG de l’armée soudanaise à Khartoum, nombreux sont ceux qui pensaient que le pays a basculé irrémédiablement dans la guerre civile et le chaos. C’était sans compter sur la volonté et la foi d’un homme : Mohamed El Hacen Ould Lebatt, l’envoyé de l’Union Africaine au Soudan.La dextérité de cet ancien ministre des affaires étrangères de Mauritanie, sa patience et son savoir-faire de médiateur ont permis de démêler les fils enchevêtrés de l’imbroglio soudanais dans un temps record de quatre mois. La partie n’était pas gagnée d’avance. En effet, le Soudan qui se situe à la frontière de l’Afrique Noire et du MondeArabe a une longue histoire de conflits ethniques, tribaux et confessionnels. Il connait des rebellions toujours actives notamment au Darfour et dans la région du Nil Bleu. C’est aussi le seul pays arabe où a séjourné Ben Laden. Le pays sort d’une longue période de dictature sous le régime d’Omar Al Bechir, son isolement sur la scène internationale a rendu son économie exsangue et sa jeunesse n’a de perspective d’avenir devant elle qu’émigrer à la recherche de meilleurs horizons. C’est pourquoi elle a joué un rôle déterminant dans la contestation qui a conduit à la chute du dictateur. Le peuple demandait plus de justice, plus de démocratie et le retour du pouvoir entre les mains des civils. Mais les militaires qui ont déposé Al Bechir ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils voulaient conserver le pouvoir le plus longtemps possible. La confrontation était inévitable entre les forces de la liberté et du changement, fer de lance de la contestation et le Conseil Militaire et ce fût le massacre du 3 juin 2019.
Ould Lebatt commença alors une période laborieuse de sa médiation pour reconstruire la confiance perdue entre les deux parties. Il a tenu au total pas moins de 425 réunions avec les divers acteurs impliqués dans la crise soudanaise et donné de nombreux points de presse démontrant à cette occasion ses compétences de grand communicateur et sa parfaite maitrise du français, de l’anglais comme de l’arabe.
Son expérience de médiateur en Afrique lui a certainement beaucoup servi. En effet il a travaillé comme facilitateur de l’ONU au Congo, comme envoyé de la Francophonie au Burundi et comme envoyé de l’Union Africaine en République Centrafricaine. Son expérience congolaise a été l’objet d’un livre qu’il a signé en 2005 sous le titre : Facilitation dans la tourmente.
Ould Lebatt réunit un ensemble de qualités que peu de ses semblables réunissent :habileté, patience, courage, don de soi, intelligence, créativité et expérience. Il a dû en user pour amener les parties en présence à signer un accord le 17 août dernier prévoyant une période de transition de trois ans durant laquelle le pouvoir sera partagé entre militaires et civils.
En annonçant l’accord final aux soudanais et au monde, il a prononcé une phrase pleine de sens dans un arabe impeccable : « il est des moments dans l’histoire qui ne peuvent être enregistrés que par le souffle ».
Les mauritaniens ont unanimement salué, non sans fierté, le succès de leur compatriote qui signe là la première réussite d’un mauritanien dans un dossier international d’importance. Dans l’une de ses apparitions dans les médias, il portait même le boubou mauritanien traditionnel dans un clin d’œil à sa patrie. Ould Lebatt donne la leçon pour son pays qu’en faisant confiance à ceux qui ont la compétence on peut s’attendre à de bons résultats.
Il faut donc saluer l’action de cet homme qui a évité au monde un nouveau Yemen ou une nouvelle Centrafrique ou Syrie et sauvé ainsi de milliers de vies humaines. Il a aussi donné l’exemple pour l’Afrique en démontrant que le continent peut résoudre ses problèmes par lui-même quand il compte sur ses propres ressources et quand il favorise l’amour et l’intégrité. Ould Lebatt constitue un contre-exemple pour l’afro-pessimisme ambiant.
Moktar Ould Moloud
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