L’une des particularités cultuelles de notre campement, par rapport à des campements similaires, était le respect scrupuleux d’une règle non écrite stipulant que le jeune garçon ne pouvait «se raser» que lorsqu’il aurait obtenu le diplôme de « Radva », qui attestait l’apprentissage par cœur du Saint coran, sans nécessairement maîtriser les aspects plus avancés des études coraniques, aspects sanctionnés par un autre diplôme, « L’Ijaza ». Chaque garçon devait arborer la «marque capillaire» de son campement, durant l’enfance; le passage à l’âge adulte était solennellement fêté lors d’une cérémonie de «rasage», consistant à supprimer, une fois pour toute, ce signe identitaire. Pour notre campement, la «marque capillaire» était composée de trois petites touffes de cheveu, l’une juste au-dessus du front (Elourv), l’autre (Elghetaya), au sommet du crâne et la troisième (Elghedhaba), au niveau de la nuque; en illustration de la parabole de la paille et de la poutre, nous étions souvent amusés par l’aspect pittoresque de certaines des «marques capillaires» des campements voisins! C’était un déshonneur pour la famille, lorsque son enfant devenait mature physiologiquement, alors qu’il n’avait pas encore obtenu le précieux sésame, « Radva », pour intégrer le monde des adultes et y être accepté comme tel. C’était ce qui expliquait, en partie, l’extraordinaire accompagnement pédagogique et le soutien matériel indéfectible des parents (et de l’entourage familial!), au profit de leurs enfants en période d’apprentissage. L’une des rares fois, en dehors de l’usage médical, qu’un garçon pouvait se teindre la main droite au henné, c’était à l’occasion de l’obtention de ce précieux diplôme. Certains adolescents de notre campement arrivaient à décrocher cette « Radva », alors qu’ils n’avaient pas encore mûri physiquement parlant; parmi ces derniers figurait le jeune Seydou. Débarrassé des trois petites touffes capillaires de l’enfance, il n’appartenait pas pour autant au monde rude des adultes. Il décida, pour prouver le contraire, de prendre part à l’activité la plus exigeante de la vie des nomades du Hodh, la «caravane du mil». A l’aller, tout s’était passé fort bien, mais lorsqu’il s’est agi de charger, sur des chameaux barraqués, d’énormes sacs à grains (Amzaoud), remplis de mil, la donne changea du tout au tout. Invité par Bouna, le chef de la caravane, à prendre part, comme tout le monde, au chargement desdits sacs, Seydou échoua à soulever le côté de son premier sac. Bouna décida immédiatement d’interrompre l’opération de chargement et invita Seydou à s’asseoir et à baisser sa tête; il lui humecta les chevaux et utilisa un couteau tranchant, pour lui raser les cheveux, en prenant soin de reconstituer les trois petites touffes capillaires de l’enfance... Les habitants du campement furent amusés, au retour de la caravane, de remarquer le changement de statut du jeune homme. Il raconta lui-même et fidèlement sa mésaventure, sur le ton de la plaisanterie; cette histoire continue à faire rire au sein la famille élargie. J’avoue, rétrospectivement, que si je n’avais pas été «sauvé» par l’école de la République, j’aurais probablement subi le même sort que mon « parent» Seydou, car, à moins de suivre un programme intensif d’haltérophilie, je me voyais difficilement réussir à soulever, plusieurs fois de suite, le côté d’un sac de mil, qui pesait, au bas mot, cent vingt kilogrammes! Tous les enfants du campement étaient donc prévenus, car le message du sage Bouna, leur était aussi tacitement destiné... (A suivre)
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