Depuis quelques jours, Nouakchott vit dans un beau climat, sous un ciel clément en dépit de ses couleurs contrastées : couvert de nuages. Il ne nous en envoie cependant que quelques rares gouttelettes d’eau, ce ciel chargé ! Il n’est toutefois ni radin, ni austère. Il donne suffisamment ce qu’il faut pour rendre le temps doux et pour susciter chez mes compatriotes des espoirs d’une saison de pluie bien arrosée.
Ce climat agréable de quelques jours, un tout petit peu humides, et sans soleil brûlant, réveille en moi un désir ardent de bédouin forcé à la vie urbaine loin des siens. J’aurais aimé passer un bon hivernage en Mauritanie au lieu d’aller à Beijing, en Chine, où je resterai cloitré dans mon bureau, ou suffoquant sous la pression des mondanités des rencontres diplomatiques.
Un désir qui parait quasiment impossible cette année : je repars dans quelques semaines pour cette destination lointaine à l’autre bout du monde, à plus de 17 heures de vol de chez-moi, et pour y demeurer beaucoup de mois encore avant de revenir au pays.
Cependant, malgré le handicap de l’éloignement géographique, et/ou, à cause de lui, je continue de m’accrocher à mon souhait, vivant dans les nuages au sens propre du mot.
En les caressant, je ne fais que suivre les traces de mes parents et des mes ancêtres qui, eux aussi, scrutaient, le ciel à longueur de journée, écoutaient et lisaient ses signes et bruits toutes les nuits. Y détecter un rayon lumineux d’un éclair lointain, un grondement de tonnerre quelque peu assourdissant, les couleurs diffuses d’un nuage… bref : le moindre signe ou indicateur de pluviométrie, nourrissait leurs espoirs, allégeait leur peine, leur donnant des sensations de bonheur.
Comme mon père, comme mon grand-père, comme mes aïeux- qu’Allah aie leurs âmes, moi aussi, je regarde toujours vers le ciel, poussé par les mêmes motivations, fasciné par les nuages. Mieux : je me suis procuré aujourd’hui des outils de remplacement qui consolent mes désirs inassouvis, surtout dans les périodes de secheresse devenue chronique.
Ils me fournissent de quoi compenser l’absence du spectacle céleste, ce bel objet de fantasme que m'ont legué mes assendants, de génération en génération. Pour nourrir mes rêves, il suffit que je me rabatte sur ces moyens de substitution modernes quand je ressente le besoin de reluquer les nuages, de leur soutirer cette substance liquide qui fait la vie, et qui est si précieuse dans des régions sahariennes, comme la mienne.
En ce moment, j’ai envie de faire un grand tour dans ce trésor, de m’en abreuver à fond. N’est- ce pas, c’est délicieux de boire des « larmes des anges » ! C’était en ces termes que ma grand-mère Khouera m'expliquait c’est quoi la pluie, en citant un verset coranique auquel je ne pigeais rien1. Je comprenais quand même l'essenteil du phénomène: la pluie est une bénédiction du Bon Dieu que l’on espérait tout le temps, et que l’on devait accueillir à chaque fois qu'elle tombasse avec une religiosité profonde où se mêlaient crainte et joie.
Tout petit, je rêvais d’aller dans le ciel pour croiser les anges, stimulé par les prières de Khouera -رحمة الله عليها. Je les imaginais des belles créatures drapées en blanc, cachées quelque part dans les nuages que je voyais de temps à autre défiler au-dessus de moi. Je voulais les rejoindre là-bas, très haut, dans leur abri céleste, les voir pleurer, les entendre, boire de leurs larmes chaudes et y baigner. Depuis, l’image des nuages ne me quittera plus.
Je l’ai aujourd'hui sous forme matérielle ; ce qui permet de la garder à portée de main, de l’étaler devant moi à tout moment. Une façon de prendre plus d’indépendance vis-à-vis des caprices du ciel.
Sans cette capacité de visionnage à volonté, où aurais-je pu puiser ces beaux paysages de la région de l’Adrar ? Son ciel nuageux, ses crépuscules et ses aurores, éclairés ou assombris selon le temps qu’il fait… tout cela je le possède désormais.
Un vrai fonds artistique riche en contrastes, cette photothèque numérique ! S’y marient harmonieusement : ombres, lumières et couleurs avec toutes les nuances qui donnent formes et contours aux éléments de la nature dans cette belle région de la Mauritanie et en cette période de l’année. Des photos qui font rêver. Elles sont signées : Alika Nakash.
Nouakchott, février 2015
El Boukhary Mohamed Mouemel
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1 " وَيَخِرُّونَ لِلْأَذْقَانِ يَبْكُونَ وَيَزِيدُهُمْ خُشُوعًا" (Et ils tombent sur leur menton, pleurant, et cela augmente leur humilité), Sourate Al Isra, verset, 109.
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