Au cours d’un long et agréable voyage entre Nouakchott et Birigni en passant par Nouadhibou, Hama, un compagnon sympathique et un peu bavard, n’a cessé de me parler de choses plus ou moins intéressantes qui le concernent.
J’en retiens un souci intellectuel, qu’il m’exposa alors qu’il écoutait les infos sur La Voix de Birigni, sa chaîne radio préférée. C'était lors de notre excursion et halte à Eçteylat Al Maagal:
- « Tu sais, moi mon job c’est chauffeur et mécanicien dépanneur, et rien d’autre ! », insista-t-il, avant d'ajouter :
« C'est vrai que par moment je m'amuse à jouer au peinturier et au photographe. Et parfois à l'apprenti chasseur, sous la conduite de notre ami chevronné Abdellahi. Mais c'est rare».
Puis, marquant un petit temps d'arrêt, et me regardant timidement dans les yeux, il enchaîna, changeant complètement de sujet:
« Les controverses politiques et idéologiques, ce n’est pas du tout mon boulot. Bien au contraire ! Car j’ai un problème avec : je ne sais pas où se situent les limites du tolérable, les frontières qui empêchent les mauvaises dérives n’étant pas du tout lisibles. Une difficulté qui surgit fréquemeent et que je ressens souvent, notamment à l'occasion des échéances électorales.
Je sais que toi tu peux m’éclairer. Le fait que tu sois soumis à une obligation de réserve dans ce domaine te permet en effet d’avoir un regard détaché, de voir les couleurs du balisage.
Par contre, ceux qui s’y engagent totalement, sans retenue, eux perdent leurs repères. Ils n'ont pas le sens des nuances. Ils sont daltoniens : quand c'est vert, ils voient rouge; quand c'est rose, ils voient noir; et quand c'est blanc, ils voient gris. Tu vois que c'est incompréhensible », conclut-il.
Son discours terminé, j’ai réfléchi à ses propos qui m’ont semblé beaucoup plus profond qu'il n'y parait à première vue.
Et là, je me rendis compte de mes limites face à la question de mon interlocuteur.
Je suis en effet resté bloqué, les questions tournoyant dans ma tête :
Que faire face à ce type très spécial de daltonisme qui prend des formes politique et idéologique ? Comment expliquer le fait qu’il frappe mon pays, qu'il s'y développe et s'y repend? Suis-je atteint de la maladie, moi aussi?
Tijirit, avril 2018
El Boukhary Mohamed Mouemel
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