Je suis perplexe en cette journée abondamment pluvieuse.
Ce n’est pourtant pas la mauvaise météo qui me préoccupe tant, ni les passants, très nombreux, qui se bousculent, épaule contre épaule, se donnant des petits coups de coudes involontaires parfois désobligeants sous des parapluies qui, de ce fait, ne cessaient de bouger dans tous les sens, laissant des voies d'eau pénétrer par le côté opposé à leur inclinaison. Par contre, moi, ce défaut d’étanchéité de parapluie ne me pose pas vraiment de souci, pour une raison toute simple : le mien, je l'ai laissé accroché au mur de la chambre à coucher au dessus de ma table de nuit. Bien que je l’aie toujours à portée de main, j’ai du mal à m’accoutumer à la compagnie de cette espèce de petit parachute à manche, sans sangles, que les gens d’ici traînent partout avec eux durant cette période. Je n’ai pas l’habitude non plus de marcher dans une rue aussi noire de monde sous un orage.
Moi, fils du désert habitué aux grands espaces secs et arides, sous peuplés ou peu fréquentés, je ne réalise pas tout à fait le dépaysement que je vis en cet instant à Sanlintun, le quartier le plus chic, le plus moderne et le plus fréquenté de Pékin : connu pour son caractère cosmopolite, et réputé pour ses nombreux bars, restaurants et boutiques d’enseignes internationales… Il est probablement le plus arrosé également par le ciel depuis une semaine.
Mon dépaysement est d’autant plus sensible que j’ai le sentiment que des états d’âme m’interpellent de façon un peu bizarre. Ils me soufflent à l’oreille comme pour m’acculer :
- "Que fais-tu ici avec ton air méditatif ? Chercher à comprendre est abrutissant".
- "Quoi !", leur répondis-je dans mon fort intérieur, inconsciemment, étonné et agacé.
C’est vrai qu’il n’y a rien à comprendre, me ravisai-je aussitôt après, estimant que tout tient à des sensations plus ou moins fortes ou plus ou moins diffuses : observer, humer, sentir, interroger.
Comme raccourci, le constat me rassure tout en me rendant confus : je me réfugie dans mes mémoires de lecteur; j'y cherche des réponses, dans les œuvres d’écrivains et d’artistes que j’ai rencontrés. Et là je finis, malgré moi, par me mettre à l’école de ceux que j’ai souvent pris, d’une manière ou d’une autre, pour des idéalistes un peu ‘’cinglés’’, à marcher d’une certaine façon dans leur sillage : je rêve, je doute.
Une question m’effleure l’esprit quand même : "dois-je continuer sur la même voie que ces passionnés souvent un peu ‘’ fous’’, ou plutôt dois-je rebrousser chemin, remettre les pieds sur terre, voir et vivre la réalité des choses comme elle est, et non comme j’aurais souhaité qu’elle soit ?", me demandais-je.
Une voix silencieuse m'interpelle. Elle émane du brouillard des brouhahas et ‘’tohu-bohus’’ des foules de passants, de leurs regards assombris par l’eau de pluie qui les empêche de croiser franchement le mien, lui aussi tout indécis. Elle résonne en moi, colle à ma peau complètement mouillée sous mes habits. . Elle me répond avec force, sans toutefois émettre le moindre son :
-" As-tu vraiment le choix ? Comme tout le monde, tu feras ton bout de chemin de rêve, de solitude. Accepte-le comme tel. Mais tu peux continuer de te poser des questions".
Sur le coup, je l’ai écoutée attentivement durant un instant, le temps que les averses cessent. Aussitôt celles-ci interrompues, mon attention fut ramenée vers la terre tout en restant paradoxalement suspendue dans le ciel de mon évasion nuageuse : j'ai hâte de rentrer vite chez moi, de me changer, de faire un bon thé chaud à trois temps, un thé à la mauritanienne, de revoir des amis sur face book de naviguer et de fuir avec eux ou sans eux, de régler des questions d’ordre matériel ou social en suspens … Bref : continuer de caresser mes rêves en les mariant aux aspects concrets de la vie.
- "Quoi de plus naturel !", m’exclamai-je, en guise de soulagement pour clore mon monologue.
Pékin, 29 jun 2015
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