Réflexions autour de" Soudan, chemin de paix" de Mohamed El Hacen Ould Lebatt

Réflexions autour de Soudan, chemin de paix

Après Facilitation dans la tourmente sur la RDC (République Démocratique du Congo), Ould Lebatt vient de publier un nouveau livre sur sa mission de médiation au Soudan. L’ouvrage a une portée internationale évidente car écrit dans trois langues différentes : l’arabe, le français et l’anglais.

L’ouvrage est remarquablement préfacé par le Professeur Alpha Omar Konaré.

Dès les premières pages du livre qui en compte 400, on sent qu’il s’agit d’un récit. La lecture de la totalité de l’ouvrage renforce cette impression, mais il s’agit d’un récit structuré. Un livre qui sent le souffle de l’histoire, le souffle de celui qui « s’investit dans l’aventure ».Un texte écrit avec une chaleur humaine pour ne pas dire avec une certaine émotivité.

Le livre constitue un témoignage précieux sur la réalité sociopolitique du Soudan L’auteur y fait montre d’une connaissance fine de la société soudanaise, de son histoire, ses ethnies,ses tribus, ses rebellions, etc. Le contexte politique et social est présenté de façon analytique : les partis politiques, les mouvements armés, les différentes factions et leurs leaders sont décrits de manière exhaustive. La culture du pays aussi. L’auteur consacre un long passage à la musique soudanaise : ses stars, son histoire, le rôle qu’elle a joué dans la révolution…

Il rappelle les relations séculaires qui lient la Mauritanie avec le Soudan où les Chinquittois,en route vers la Mecque, séjournaient.

L’auteur a su « gérer » avec habilité l’épineux dilemme de dire la vérité sans froisser quiconque et de ménager les susceptibilités des uns et des autres sans verser dans le mensonge.

Il raconte les difficultés rencontrées avec l’envoyé spécial du Premier Ministre éthiopien qui a voulu au début faire cavalier seul. Ses difficultés furent aplanies lors d’une émouvante réunion dans les locaux de l’ambassade d’Ethiopieet le tandem africain a fini par travailler comme une seule équipe.

Il explique comment il a promu l’idée de favoriser un accord intérimaire entre les deux parties des négociations : le Conseil Militaire de Transition (CMT) et la Déclaration des Forces e la Liberté et du Changement (DFLC). L’auteur évoque les interférences internationales. Il explique comment il a obtenu que tous les acteurs internationaux donnent leur appui politique à la médiation africaine et s’abstiennent de conduire des initiatives séparées.

Les négociations furent difficiles et ont été émaillées d’épisodes qui ont failli faire déraper le processus comme les évènements du 3 juin ou le massacre des écoliers d’El Oubeydh auxquels le livre est dédié.

Après la cérémonie de signature des accords du 17 août, l’auteur était comme porté par un nuage, avant d’être porté physiquement sur les épaules des soudanais. Il dit : « je me sentais porté par un vent dont je ne savais où il me déposerait ». Les félicitations venaient de toutes parts sauf de là où elles auraient dû venir les premières. Entre-temps, l’euphorie s’était emparée des rues de Khartoum et des autres villes soudanaises

Ould Lebatt fait une tentative de formalisation théorique dans le domaine des médiations. Selon lui, les péchés du médiateur sont : l’arrogance, l’ignorance, la partialité, le discrédit, l’empressement, etc. A l’inverse, ses qualités sont : l’humilité, la connaissance, l’impartialité, la crédibilité, etc.

Il précise : «mon vrai tempérament politique ou ce qu’il m’en reste, m’incline fortement vers la recherche du compromis et du consensus ».

Il reconnait l’apport et les leçons qu’il a apprises auprès de ceux qui l’ont précédé dans le champ diplomatique de la médiation : Julius Nyereré, Mandéla, Boutrous Boutrous Ghali, Abdou Diouf, Alpha Omar Konaré, Kofi Anan, etc. « Vous ne pouvez pas fréquenter ou côtoyer l’un d’eux sans qu’il vous reste quelque chose », écrit-il

Il rapporte qu’il a appris auprès de Ketumile Masire « que demeurer imperturbable, égal à soi-même, armé de sa foi, était l’arme magique du médiateur ».

Le livre constitue un apport précieux pour la doctrine des médiations et la résolution pacifique des conflits. Les diplomates y trouveront certainement leur compte et les étudiants un cas pratique sur un sujet fort utile à leur formation.

L’auteur explique avec pédagogie que le paradigme africain des pays en crise se décline en pays du versant « A » et ceux du versant « B ». Les premiers sont ceuxqui, comme la Libye ou le Mali, ont connu une évolution tragique en « États faillis » où guerres, rebellions, exactions de toutes sorte sont monnaie courante. L’auteur fustige au passage l’éviction de l’UA de la crise libyenne. Les seconds sont ceux qui, comme la RDC ou le Rwanda, ont connu des évolutions positives ouvrant la voie à la réconciliation et à la stabilité.

Il y a, parsemées dans le texte, quelques réflexions philosophiques que les évènements lui inspirent.

« Pourquoi », se demande-t-il, « ne posons-nous jamais, quand il le faut, la question de notre vanité ? Puisque nous sommes finissants, pourquoi bomber le torse et oublier nos limites inouïes ? »

La révolution est,selon lui, nécessairement portée par un idéal humaniste de liberté et de justice. Un rêve qui galvanise les hommes et les femmes qui en sont les acteurs, « rien de grand ne se réalise sans utopie, rêves, imagination, fantasmes, hallucinations intellectuelles » Il tempère, toutefois cette assertion, en disant que « cette âme des grands changements jure cependant avec le désordre et le chaos.

Il fait référence à la poésie arabe ancienne dont l’amour -il ne manque de le rappeler- est amplement partagé entre les Mauritaniens et les Soudanais. On le voit aussi qui cite un proverbe maure.

Le livre est une véritable fresque intellectuelle, un peu à l’image de son auteur

Le style est sobre mais élégant avec une langue colorée et vivante

Malgré le sérieux du sujet, l’auteur ne manque pas d’humour. Il explique, par exemple, qu’il a présenté au représentant américain qu’il rencontrait dans l’hôtel Corinthia une liste de noms « que je souhaitais qu’il « ciblât et traitât » dans le sens souhaité. Hum ». Pour dire qu’il voulait qu’il tente d’influencer leurs positions vers un soutien de la médiation. Ou quand il dit que « les vrais artistes et inventeurs du passage du dromadaire par le chas de l’aiguille, ce ont les journalistes ». Dans une autre occasion on le voit qui fait « marrer comme un collégien » un général de l’armée qui reprochait à ceux de l’autre camp leurs interminables divisions en factions en lui lançant : « Alors comment vont aujourd’hui les koutels ? »

Son passé de militant surgit dans le récit par intermittence, par exemple, quand il paraphrase un grand révolutionnaire asiatique qui affirme que « ce qui compte pour toute révolution ce n’est pas la puissance et la diversité de ses forces, ni leur faiblesse ou impuissance, ce qui est déterminant, c’est la ligne suivie ».

La rencontre d’une jeune militante soudanaise, pleine d’enthousiasme, lui rappelle la jeunesse d’une autre militante, mauritanienne cela, feu Salka Mint Sneid qui représente la pureté dans l’engagement et dans la poursuite des idéaux.

Dans le cours des négociations, il reconnait avoir omis volontairement d’évoquer certains sujets « complexes » de peur que leur mise sur la table ne conduise à des controverses et « des déchirures » qui, à terme, finiraient par faire échouer tout le processus. Des questions comme, par exemple, la nature de l’Etat : est-ce qu’il serait fédéral ou unioniste ?

L’auteur fait de la prospective en avançant des hypothèses sur l’évolution future du Soudan, en se basant parfois sur son intuition.

Il prévoit la naissance de nouvelles formations politiques et la disparition d’autres.

Il prévient, toutefois, que la partie n’est pas définitivement gagnée et que, faute d’une gestion sage et efficiente de la transition, les dérapages sont toujours possibles. Il exhorte la communauté internationale à épauler politiquement et, surtout économiquement, le Soudan dans cette phase cruciale de son évolution politique.

Il prodigue de nombreux conseils à l’adresse des acteurs de la transition.Par exemple, il les encourage à bien s’occuper de leurs Kandakats (les femmes) et à leur assurer une représentation politique à la mesure de leur poids démographique et de leur rôle dans la révolution.

Il trouve aussi qu’il est nécessaire pour la stabilité du pays de faire la paix avec les mouvements armés.

Ould Lebatt pense que les Soudan ne peut faire l’économie de traiter avec équité la question de son « passif humanitaire ». A cette occasion, il évoque son propre silence au sujet des événements tragiques qui se sont passés en Mauritanie. Il ne cherche pas de prétexte et fait son mea-culpa et reconnait sa responsabilité morale. Il écrit : « La mienne, en tous cas, je la reconnais. Sans ambages, ni appel au secours de prétextes et autres subterfuges ».

Il pose une série de questions auxquelles le Soudan devrait trouver des réponses. Par exemple, quel équilibre trouver entre construire la paix et assurer la justice pour les victimes ?

Au terme de cette série de questionnements, Ould Lebatt conclut son livre par ce passage : « Au fond, le questionnement n’est-il pas le commencement de la sagesse ? En un sens, il est la sagesse elle-même. Il en est aussi la fin ». Il évoque en moi cette affirmation de Cheikh Mohamed El Mâmi dans leKitab al-bâdiya : « le questionnement est une science ».

La Mauritanie saura-t-elle profiter de son expérience, de ses qualités intellectuelles, de son charisme, de son savoir-faire ou simplement de son « intuition » ?

Mohamed Salem Ould Maouloud

 

 

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