Passons à autre chose…

Il faisait un peu chaud, avec un ciel nuageux. Un climat sec, mais tempéré par quelques légères rafales de vent de sable humide qui vous donnent parfois des sensations de fraicheur. Mais il ne pleut toujours pas : ni à Nouakchott, ni dans ses environs. Ce n'est pourtant pas la raison qui fait que les vacances de la famille à la campagne sont sérieusement compromises cette année.

C'est plutôt la pandémie, s’inquiétait Hama en se rappelant qu’il n’arrive pas à prendre la deuxième dose du vaccin contre la Covid 19 : Astra Zénéca est en rupture de stock depuis plus d’un mois. Mais selon les gens, il y’en aura bientôt pour faire face à la dangereuse vague épidémique qui frappe le pays actuellement. Hama se réjouit de cette perspective vaccinale, alors qu’il sait d’avance que sa portée sera limitée tant que ses concitoyens accordent peu d’intérêt aux mesures barrières. 

Toujours branché sur WhatsApp, il écoutait un poème qui chante la bravoure et les louanges de ses aïeux. L’enregistrement sonore du griot circulait largement dans les groupes des siens, leurs parents proches et lointains, et parmi leurs alliés et amis traditionnels.

Plongé dans ce magnifique passé embelli, réel ou imagé, de la tribu, Hama eut subitement le sentiment qu’il y a un conflit perpétuel entre trois compagnons abstraits dont il ne se sépare jamais, meublant tout le temps son esprit. Il ne sait pas, et personne ne saura, comment cela se passe exactement entre eux.

-« Est- ce conflit? Ou plutôt complicité ? » Se demande-t-il, comme à son habitude.

  Une voix silencieuse, émanant de nulle part, lui répondit, sur un ton interrogateur :

Dis-moi : à quoi ça sert, le fait de le savoir ! » Elle continua, l’enfonçant un peu plus dans ses propres soucis :

 -« A rien, quand on ramène la question à soi-même, et quand les trois, comme tu le sais, ont pour noms : le passé, le présent et le futur. »

-« Nous passons pourtant notre temps à ruminer notre passé, à le glorifier et le projeter sur notre présent et notre avenir. » Rétorqua-t-il, avant qu’un autre intervenant, l’interrompe, mettant fin à son dialogue avec lui-même :

-« Arrête d’y penser, et passe à autre chose de plus fructueux que ces trucs de tribalisme et de passé révolu. Persister dans cette voie archaïque, c’est ce qui fait que les élites de notre pays passent le plus clair de leur temps à se regarder le nombril. »

En face, Hama répondit, souriant et faisant montre de reconnaissance et de gratitude envers son interlocuteur. Une reconnaissance qui cache mal un sens de la polémique, à la fois, élevé et très amical :

- « Je connais tes bonnes idées révolutionnaires sur la question, mon cher ami professeur et militant des droits de l’homme. Mais je n’oublierai jamais, mon cher Sidi, comment tu as agi courageusement pour faire réussir ma fille au baccalauréat, en gonflant ses notes. Tes liens de parenté avec sa maman, avec deux membres du secrétariat de l'examen et tes amitiés avec certains correcteurs, nous ont très bien servis à l’époque. Qu'Allah te récompense pour ton acte généreux et te bénisse. »

Le militant et professeur de sociologie, changea de sujet :

« Notre coordination, au niveau des partis de l’opposition organisera le mois prochain un grand colloque sur le thème : '' l’Etat et la citoyenneté.'' Nous t’invitons à cette occasion. »

-« T’as raison, Professeur : passons à autre chose. J’y serai, Inchallah», promit Hama.

El Boukhary Mohamed Mouemel

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