Maintenant, dégagez la zone...

‘’Ne tirez pas. Le nuage est de l’autre côté de la frontière.’’ 

Ces mots résonnent depuis quelques minutes dans les oreilles du lieutenant Hama, mais ne le surprennent pas outre mesure : ordres et contre-ordres, ça, il en a l’habitude depuis son engagement dans l’armée !

Il s’exécuta, puis vérifia sa position sur la carte et au moyen de GPS : l’aéronef se trouve à la verticale de la ligne des frontières entre les deux pays, à quelques dizaines de mètres à l’intérieur du territoire national.

’Il va falloir, en effet, que je change de cible’’, se dit-il.

Mais le chef du Bureau des opérations, l’ingénieur capitaine météorologue, ne répond plus à ses appels radios. Alors que le téléphone satellitaire ne doit être utilisé entre les deux hommes qu’en cas de forte nécessité.

Il continue de tournoyer à basse altitude, balayant de son regard l'immense paysage désolant du désert qu’il voudrait arroser en provoquant une bonne pluie.

 Il venait de survoler un troupeau de bovins assez amaigris, traversant la frontière, conduits par deux hommes en haillons, vers le pays voisin en quête de pâturages. Ils seraient de la tribu Oulad Sidi Meylud, d’après le signe marqué au fer rouge sur le côté droit du cou de chaque bête. Des cicatrices de brûlures à vie, utilisées comme marques de betail nettement visibles. ‘’Une technique cruelle de torture animale insupportable’’, s’insurgeait Hama en son for intérieur. Mais ne s’y attarda pas trop.

 Pour le moment son plus grand souci est ailleurs : l’état pitoyable de ces vaches et de deux hommes l'incite à garder un contact visuel, à la fois affectif et chargé d’espoirs, avec ce magnifique cumulonimbus situé à quelques centaines de mètres dans les airs du pays voisin. Il sait cependant que les rapports entre ce dernier et le sien ne sont pas toujours trop sereins.    

‘’Mais c'est du côté de la pluie artificielle, pense-t-il, que réside la solution aux longues périodes de sécheresse récurrentes qui frappent mon pays depuis plusieurs années’’.   

 Les secondes passent vite, alors que l’appareil est soumis à des turbulences aériennes qui détournent et accaparent l’attention de Hama. Pas pour longtemps… 

Aussitôt l'avion stabilisé, le fil de sa pensée revint, songeant à trouver d’autres nuages à ensemencer. Ce qui requiert le rétablissement des liaisons radios avec le capitaine Sidi. En attendant, il opta pour attendre que le cumulonimbus, déjà repéré, s’approche et traverse la frontière nationale.

’Mais, si entre temps, l’autre partie détruisait ce nuage’’, s’inquiétait-il ?

Une interrogation qui ne le réconforte pas trop dans ses convictions morales et professionnelles, les questions l’assaillant de toute part :

 Son métier de pilote, chasseur de nuages, contribue-t-il vraiment à réduire, comme il en rêvait, les risques de conflits liés aux défis de l’eau, et donc à favoriser et consolider la paix à travers le monde ?

Ou bien, au contraire, cette activité ne risque-t-elle pas de présenter un nouveau théâtre de conflits géopolitiques engendrés par les besoins d’adaptation au dérèglement climatique et d’atténuation de ses conséquences nocives ?

Les produits chimiques, chlorure de sodium et autres, que l’on dissémine dans l’atmosphère à cette occasion, quelles en sont les conséquences et les impacts à moyen et long terme sur l’environnement ? ...

Alors que les interrogations venaient en cascade et l’envahissaient, le téléphone satellite sonna. A l’autre bout de la ligne, le chef du Bureau des opérations ordonna, le ton ferme comme à son habitude :

« Mon lieutenant, revenez au premier objectif, traitez la cible rapidement et dégagez la zone aussitôt ».

Aussitôt reçues, les instructions du capitaine furent appliquées à la lettre par le pilote. Ce qui n’empêchera pas Hama, ‘’le philosophe’’, comme l'appellent ses amis de la ‘’Promotion du lieutenant Héyine’’, de s’interroger :

« Comment est-ce qu’elle est gagnable, cette guerre de l’eau menée dans le ciel ? »

El Boukhary Mohamed Mouemel

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