Ma chère Akjoujt défigurée !

C’est bien parti, mon voyage à travers le dernier roman de Beyrouk. Comme tout lecteur, je marque des arrêts, méditant certains passages. Voici le lieu de ma première halte.

Défigurée, mélancolique et émouvante, cette ville m’interpelle profondément, car j’y ai des attaches personnelles solides. Beyrouk rend bien compte de ce qui lui arrive. Ses mots, poétiques et poignants, éveillent mon émotion et ma nostalgie en tant qu’Akjoujtois.

El Bouklhary Mohamed Mouemel

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« Rien ne bouge tout autour, le Sahara s’endort, les spectres d’une cabane, d’une tente, d’un bouge délabré surgissent parfois au milieu de la pénombre puis s’effacent, un oiseau, je ne sais quel genre, effleure mon pare-brise sur la droite, ce devrait être bon signe, je me dis, et puis soudain au loin, les lumières qui rappellent le temps, Akjoujt.

Akjoujt a trop enduré pour remuer encore, elle s’est éteinte depuis trop longtemps, épuisée par les vagues des rapaces, depuis un siècle ils la sucent, un  fort colonial d’abord, puis une mine et une autre mine, ils se sont acharnés sur le corps terreux jusqu’à ce qu’elle exsude toute sa sève et que son cœur s’avachisse. Elle s’est évanouie plusieurs fois puis ses feux, sous le souffle violent des appétits des firmes gigantesques, s’étaient mollement rallumés, mais les ombres épaisses des vulgaires violeurs s’étaient imprimées durablement sur ses murs lépreux. Je ne m’arrêté pas, ces boutiques communes, ces restaurants sales et sans cœur, ces baraques que la vie a quittées ne peuvent me retenir, il n’y a plus que des âmes en partance, vers la mine, vers le nord, vers le sud, tout le monde ne fait que passer, c’est vrai je sais que la vie continue là-bas, plus loin, dans des quartiers isolés où on s’accroche encore à une cité perdue, dans le désert alentour, où l’on vit comme si le monde s’était figé depuis longtemps, et aussi dans les yeux de ceux qui ont foui et qui, au loin, dessinent par des mots le souvenir idyllique d’une Akjoujt disparue. Mais la nostalgie qui ne se devine même plus dans ses avenues qui errent, refusant de s’arrêter devant les portes vermoulues de la cité d’antan. La ville n’offre plus que la surface avariée d’un pays perdu. »[i]  

 

[i] Beyrouk : « le silence des horizons », Edition Elyzad, 2021, pages : 12-13.

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