Accordons aux musulmans le plus grand crédit moral : le fait qu’ils ne regardent pas d’un œil indifférent, passivement, ce qui se passe dans ce "meilleur des mondes". Mais devant les massacres perpétrés en Syrie et en Irak, et loin de l’hypocrisie des "leçons de morale" assenées en permanence par la barbarie occidentale mondialisée et ses avocats, qui se sont toujours fait l’écho d’une puissante indignation contre les méfaits du jihad, il convient aujourd’hui de rappeler le sens du jihad.
Le sens véritable du jihad
L’Islam prescrit le jihad comme une dévotion. Allah y a incité ses fidèles dans plusieurs versets du saint Coran, et Son Prophète y a exhorté les musulmans dans plusieurs hadiths attestés. Mais si nous voulons suivre cette prescription divine, nous devons en saisir le sens et la portée ; sinon on sera comme celui qui part en pèlerinage sans connaître les rites.
Il est indispensable de prendre en considération la véritable signification du jihad et les conditions canoniques de la pratique de cette prescription. Pratiquer une dévotion sans se conformer à ses prescriptions canoniques, c’est commettre un péché. Si, par exemple, quelqu’un prie sans se conformer à la manière dont le Prophète (PSL) priait, sa prière est nulle et n’est pas agréée par Allah. De même pour le jihad, pour qu’Allah l’agrée, il faut qu’il soit pratiqué conformément à ses prescriptions canoniques. Allah n’agrée nos dévotions que si elles sont exécutées avec discernement. Toute pratique religieuse est conditionnée par la connaissance de sa signification, de ses limites et de ses règles.
Selon la Sounna, le jihad légal est toute action qui apporte des avantages pour soi-même et pour la communauté musulmane. Le jihad a été institué pour porter haut la Parole d’Allah (qu'Il soit exalté). S’il conduit à l’acharnement des ennemis et à l’aversion des gens pour l’Islam, alors il devient nécessaire de le reconsidérer pour tenir compte des intérêts de la communauté des musulmans.
Le jihad ne se limite pas à la lutte armée, au contraire, Le Livre et la Sounna privilégient le jihad pacifique qui met en œuvre le dialogue des consciences, avec les autres et avec soi-même, pour l’observation des idéaux de l’Islam. Avant d’être une action à l’égard des autres, le jihad est d’abord un effort à l’égard de nous-mêmes, en vue de nous éloigner des péchés et nous amener à nous conformer aux prescriptions de l’Islam.
La prescription religieuse du jihad a sa logique, indépendante de la conscience de ceux qui, avec les meilleures intentions du monde, font systématiquement appel à la terreur. Combien de sang a été versé, par ignorance des prescriptions canoniques du jihad et à cause du non-respect de ses normes ? D’où la nécessité de bien connaître les règles et normes de la prescription du jihad, pour que notre pratique de cette dévotion soit conforme au Livre et à la Sounna.
Le jihad est d'abord un effort pacifique qui œuvre pour les bonnes actions. À un homme qui lui demandait l’autorisation de partir pour le jihad, le Prophète (PSL) a répondu : « Tes parents géniteurs sont-ils encore en vie ?
— Oui
— Alors, occupe-toi d’eux, c’est un jihad ! » (Boukhari et Mouslim).
Le jihad légal englobe tous les agissements en faveur de l’Islam, qu’ils soient actes ou paroles. Le jihad peut donc être le combat des ennemis qui agressent les musulmans et les empêchent de pratiquer leur religion, comme il peut être la prédication et l’enseignement de la foi ou le commandement du bien et l’interdiction du mal. Le Prophète (PSL) a dit : « Combattez les polythéistes par vos biens, vos vies et votre parole ». (Ahmed, abou Daoud et al-Nissaii.) Ceci prouve que le jihad par la parole est recommandé. Ce jihad s’obtient par l’appel à la religion d’Allah, la démonstration de ses avantages et des bienfaits récoltés dans cette vie et dans l’au-delà pour ses adeptes.
Il y a aussi le jihad des hypocrites. Allah (qu'Il soit exalté) a dit : « Ô Prophète, lutte contre les mécréants et les hypocrites, et sois rude avec eux. » On sait que le Prophète (PSL) côtoyait à Médine un certain nombre d’hypocrites. Quand ils étaient démasqués par la révélation divine, il concluait des trêves avec eux et dialoguait avec eux, appliquant en cela le commandement d’Allah : « discute avec eux de la meilleure façon ». (Sourate al-Nahl, 125)
Les conceptions erronées du jihad
Durant une dizaine d’années, le Prophète Muhamed (PSL) a prêché l’Islam à La Mecque, apportant les preuves contre le paganisme, sans faire beaucoup d’adeptes et a fini par émigrer à Médine et entrer en conflit avec les païens. Et c’est suite aux trêves et aux traités de paix que des tribus entières sont entrées dans l’Islam. Certains pensent que le jihad vise à forcer les gens à se convertir à l’Islam. C’est une conception du jihad qui est contraire à l’Islam. Allah (qu'Il soit exalté) a dit : « Nulle contrainte en religion ! {لاَ إِكْرَاهَ فِي الدِّينِ}». (Sourate al-Baqara, 256). Des non-musulmans (juifs, chrétiens et zoroastriens) cohabitent avec les musulmans, depuis l’époque du Prophète (PSL) et jusqu’à nos jours et jamais les musulmans n’ont tenté de contraindre ces communautés à adopter l’Islam. Le Prophète (PSL) vivait avec les juifs à Médine. Il pactisait avec eux, commerçait avec eux, répondait à leurs invitations. Et cela n’était pas contradictoire avec le principe du jihad, que le Prophète (PSL) avait instauré, conformément aux principes de la loi islamique. Quand le Prophète (PSL) est mort, sa cotte de mailles était mise en gage chez un juif pour de l’orge qu’il avait procurée à sa famille.
Ceci prouve que le Prophète (PSL) échangeait avec les non-musulmans et ne les obligeait pas à entrer dans l’Islam. Donc, celui qui pense que le jihad consiste à contraindre les non-musulmans à adopter l’Islam en a une opinion contraire aux prescriptions légales.
Conditions préalables du jihad armé
Le combat des ennemis qui agressent les musulmans et les empêchent de pratiquer leur religion est un jihad soumis à un principe fondamental : la nécessité de tenir compte, avec une objectivité rigoureuse, des forces des ennemis et du rapport de ces forces, avant d’engager le jihad. La capacité pour le jihad concerne les moyens financiers, les armes et les corps. « Et préparez [pour lutter] contre eux tout ce que vous pouvez comme force ». (Sourate al-Anval, 60). Si les musulmans ne disposent pas d’assez de forces pour combattre l’ennemi, il leur est interdit d’engager le jihad, jusqu’à ce qu’ils acquièrent les forces nécessaires. Le Prophète (PSL) n’a pas autorisé le jihad au début de sa mission, il a même interdit l’usage de la force, du fait que les premiers musulmans n’avaient ni État ni Imam et parce qu’ils n’avaient pas la force nécessaire pour combattre les mécréants. Si alors ils avaient engagé le combat, cela n’aurait abouti qu’à plus d’acharnement des mécréants contre les musulmans et peut-être à l’éradication de l’islam, mettant ainsi une fin prématurée à la bénédiction divine que représente la mission du Prophète (PSL).
Une autre condition du jihad concerne le respect des pactes et des alliances conclus par les musulmans. De tels traités s’ils existent ne sauraient être violés au nom du jihad. S’il y a crainte d’agression pendant la période couverte par le traité, les musulmans se doivent de le dénoncer auprès des parties concernées avant d’entrer en conflit avec elles. « Et si jamais tu crains vraiment une trahison de la part d’un peuple, dénonce alors le pacte (que tu as conclu avec eux), d’une façon franche et loyale, car Allah n’aime pas les traîtres. » (Sourate al-Anval, 58).
La charia a appelé au respect des traités et des alliances dans beaucoup de ses textes. Parmi ces textes ceux-ci où Allah (qu'Il soit exalté) dit : « Ô les croyants ! Remplissez fidèlement vos engagements. » (Sourate al-Maaida, 1). Et « remplissez l’engagement, car on sera interrogé au sujet des engagements. » (Sourate al-Isra, 34). La charia met en garde contre la trahison et ses effets néfastes dans ce monde et dans l’au-delà. Le Prophète (PSL) a dit : « Au jour du jugement dernier, un étendard est dressé pour chaque traître, et il est dit : ceci est la trahison d’un tel ». (Al-Boukhari et Mouslim). Il est aussi rapporté dans le hadith que l’hypocrite c’est celui qui trahit son engagement. (Al-Boukhari et Mouslim).
Le respect des traités et des alliances concerne aussi le respect des engagements des dirigeants. Quand le dirigeant d’un pays musulman signe un traité ou conclut une alliance, les citoyens de son pays sont tenus d’en respecter les termes. Quand le Prophète (PSL) a conclu l’armistice d’el-Houdaybia avec Qouraich, traité contesté par beaucoup de ses compagnons, personne ne s’est permis de dire : « Ce traité ne m’engage pas, car l’Imam l’a conclu sans mon consentement. ».
Lorsque ses conditions légales sont réunies, le jihad armé ne peut être mené que sous la direction de l’Imam (le dirigeant du pays auquel appartient la communauté qui mène le jihad). Il faut aussi que l’imam appelle au jihad pour qu’il puisse être mené. « Ô les croyants ! Obéissez à Allah, et obéissez au Messager et à ceux d’entre vous qui détiennent le commandement ». (Sourate al-Nissa, 59).
Les dérives djihadistes
Beaucoup pratiquent le jihad pensant obéir à Allah, alors qu’ils commettent les pires péchés ; ils se livrent à des actes qu’ils considèrent comme faisant partie des prescriptions d’Allah pour le jihad, alors qu’elles leur sont étrangères. Cela a semé la corruption sur la terre, engendrant des actions criminelles et des dégâts énormes. D’autres ont négligé le jihad et ignoré son sens canonique, conduisant ainsi beaucoup de musulmans à se détourner de cette prescription ou à la pratiquer en ignorant ses règles.
Les fanatiques du jihad interprètent mal son sens légal et leurs actions sèment la division au sein des musulmans. Combien de sectes se sont entretuées au nom du jihad ? Alors qu’on sait que la charia met en garde les musulmans contre les méfaits de la division et les exhorte à l’unité. Allah (qu'Il soit exalté) dit : « Et ne soyez pas comme ceux qui se sont divisés et se sont mis à se disputer, après que les preuves leur furent venues. Ceux-là auront un énorme châtiment. » (Sourate al-Imraan, 105)
Allah (qu'Il soit exalté) met en garde les musulmans contre la discorde qui les dresse les uns contre les autres : « ne vous disputez pas, sinon vous fléchirez et perdrez votre force. » (Sourate al-Anval, 46). Et le Prophète (PSL) a dit : « La profanation du sanctuaire de la Kaaba ne se fera que par ses propres habitants. Quand cette profanation aura lieu, ne me demande pas ce qu’il en sera de la ruine des Arabes ! » (L’imam Ahmed). Le danger que nous faisons courir à nous-mêmes est plus grand que celui que nous font courir nos ennemis. À cause du non-respect des normes du jihad, les ennemis des musulmans se sont acharnés sur eux. En effet, certains musulmans se sont lancés dans le jihad sans connaître ses prescriptions et sans observer ses règles. Il en a résulté des agressions contre les autres, des attentats à la vie humaine et une diffusion de la culture de la terreur, qui ont donné prétexte à de nouvelles croisades.
Le non-respect des prescriptions légales du jihad a aussi donné lieu à des atteintes à l’intégrité de la charia et à des explications erronées de certains de ses concepts. Dénaturer ainsi les prescriptions d’Allah constitue l’un des plus grands péchés. Allah (qu'Il soit exalté) a dit : « ne suivez point les pas du Diable, car il est vraiment pour vous un ennemi déclaré. Il ne vous commande que le mal et la turpitude et de dire contre Allah ce que vous ne savez pas. » (Sourate al-Baqara, 168-169). Il dit aussi : « Malheur à vous ! Ne forgez pas de mensonge contre Allah : sinon par un châtiment Il vous anéantira. Celui qui forge (un mensonge) est perdu. » (Sourate Taha, 61).
Conséquences des dérives djihadistes
Ceux qui prétendent faire le jihad en se tuant avec leurs ceintures explosives et en tuant des innocents doivent se rappeler les commandements d’Allah : « Ne vous tuez point vous-mêmes. Allah, en vérité, est miséricordieux envers vous. Et quiconque commet cela, par excès et par iniquité, Nous le jetterons au Feu, voilà qui est facile pour Allah. » (Sourate al-Nissa, 29-30). Et « ne tuez point la vie qu’Allah a rendue sacrée. » (Sourat al-Isra, 33). Les auteurs de ces attentats doivent se demander si leurs actions confortent la Parole d’Allah ou si au contraire elles ne font que propager le péché, la terreur et la haine contre les musulmans.
Allah (qu'Il soit exalté) a interdit de porter atteinte à la vie humaine : « Nous avons prescrit pour les Enfants d’Israël que quiconque tue une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur la terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes. Et quiconque lui fait don de la vie, c’est comme s’il faisait don de la vie à tous les hommes. » (Sourate al-Maiida, 32). Ailleurs, Allah (qu'Il soit exalté) a spécifié l’interdiction de porter atteinte à la vie des croyants : « Quiconque tue intentionnellement un croyant, sa rétribution alors sera l’Enfer, pour y demeurer éternellement. Allah l’a frappé de Sa colère, l’a maudit et lui a préparé un énorme châtiment » (Sourate al-Nissa, 93).
Le commandement divin « tu ne tueras point » protège aussi les mécréants auxquels les musulmans sont liés par des conventions et les étrangers qui ont pactisé avec eux et se sont installés dans leurs pays, comme le confirme ce hadith du Prophète (PSL) : « Celui qui tue un allié ne sentira pas l’odeur du paradis, qui pourtant peut être sentie d’une distance de 40 années de marche. » (Al-Boukhari).
Le jihad aujourd’hui
Ce qui nous fait défaut aujourd’hui, c’est le jihad contre nous-mêmes, contre nos péchés et nos mauvais penchants. Avant d’aller combattre les autres, pensons d’abord au jihad contre les dictateurs corrompus qui nous dirigent. Le Prophète (PSL) n’a-t-il pas dit :
أفضل الجهاد كلمة عدل (وفي رواية: حق) عند سلطان جائر
Le meilleur jihad c’est de dire la vérité face à un dictateur
Avant d’aller combattre les autres, pensons d’abord au jihad contre le creusement des inégalités, le sabordage des acquis nationaux, le poids de l’armée dans les choix politiques ! Avant d’aller combattre les autres, pensons d’abord au jihad contre nous-mêmes, contre nos propres enfants, contre nos parents, contre notre jeunesse, pour la ramener sur le droit chemin et pour l’inciter à faire le bien. En vérité, nous avons besoin de nous considérer nous-mêmes, pour découvrir nos défauts et nos vices, et tous les dérèglements qui nous affectent, dans l’espoir que par la grâce d’Allah nous parvenons à un repentir sincère.
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(*) Moussa Ould Ebnou est chercheur et écrivain mauriatnien, à la fois essayiste et romancier. Parfaitement bilingue, il écrit en arabe et en français.