La littérature, vecteur de dialogue / par Aichetou Mint Ahmedou (*)

Aichetou Mint Ahmedou

À l'aube de l'industrialisation forcenée, au zénith de l'individualisme à outrance, le monde souffre d’un mal-être général. Espérons que le dialogue des cultures sera un remède efficace ou au moins un baume bienfaisant. En attendant, le monde est un nid de replis identitaires, d’intolérance et de conflits, précurseurs de la tragédie des peuples.

La littérature devra enraciner la culture du dialogue et instaurer le dialogue des cultures. Pour moi, c'est un grand cri d'amour qui traverserait les siècles et les frontières. Une porte frappée, un cœur ouvert, un formidable élan de générosité et de désintéressement. Un lien est créé entre deux esprits et deux cœurs. S'entendre avec son semblable sur le bien commun, sur les valeurs fondamentales qu’on doit partager sûrement. Un regard neuf est promené sur les êtres et les choses. Une incitation au bonheur.

On est tous semblables au départ. Seuls nous changent l'environnement et l'éducation. Notre apparence est changeante et s’adapte à notre milieu de vie, à travers le temps. Les descendants d'un Européen, par exemple, après un séjour d’un millier d’années en Afrique, deviendront noirs, en réaction à la férocité du soleil dans ces contrées-là. Mais leur dimension humaine restera celle de leur ancêtre blanc.

La littérature doit instaurer la confiance et mettre en avant notre cœur et notre conscience et non notre apparence, superficielle donc et sans importance. Elle s’adressera à la moralité des êtres, à leur humanité, pour les rassembler en une entité homogène, civilisée et paisible. En somme, l’unité dans la diversité.

Dans la littérature, l'auteur se dévoile, décrit son environnement culturel et social. Il confie ses rêves, son histoire, son avenir, son présent, ses espoirs, ses déboires, ses expériences et ses tourments. Il explique l'angle à partir duquel il comprend le monde et le sent. Son lecteur s'enrichit invariablement de la somme de sentiments véhiculés par son écrit et de connaissances, la nature humaine étant fragile, vulnérable et influençable par essence.

Je vois l’'être humain comme un livre ouvert à une page blanche, où la vie annote sa chronique, où chaque rencontre, chaque lecture remplit une page vierge.

Nos lectures nous marquent à jamais, sans qu'on en ait conscience. Les mots sont volatiles et pourtant si indélébiles.

Le lecteur sera ainsi amélioré, reconstruit avec des matériaux plus viables, plus solides et plus humains.

Et de fil en aiguille, une société va se rapprocher d’un autre modèle de société et le profil culturel des uns se fondra dans celui des autres. Ce sera alors un pas de géant vers une citoyenneté commune, la citoyenneté du monde. L'idéal.

On écrit, on transmet et on influence. On lit, on assimile, on influence aussi. On a échangé et on a partagé.

Cela illustre un peu le rôle de la littérature dans l'universalité de l’éducation des hommes et l'universalité de leur rapprochement.

Les enfants des anciens colonisés comme moi, qui écrivent dans la langue de la métropole, établissent un dialogue interculturel intense entre leur ancien et leur nouveau moi, tant leurs lectures les immergent dans un monde différent du leur. Ils subissent des changements dans leur perception des autres, dans la gestion de la vie quotidienne et même dans leur comportement. Ils pourraient vivre ensemble, sans heurts ni frictions, avec la descendance de ces anciens colons, tellement ils les connaissent maintenant, tellement ils les comprennent, les respectent et les acceptent jusqu'au fond de leurs différences.

Au temps de la colonisation, la rencontre des cultures a engendré une résistance spontanée et énormément d’antagonismes, parce que la culture dominante a utilisé la force pour que les cultures autochtones épousent ses idées et son mode de vie, contrairement à la littérature, qui suggère la rencontre des cultures plutôt comme une source de paix.

L'homme de littérature, qui est la base du dialogue des genres et des cultures, doit réfléchir le monde, le soupeser, l'analyser, pour produire des conclusions capables de faire du bien à l'humanité, sans distinction de race, de culture, de religion ou de nationalité.

Le dialogue aura la possibilité de s’étendre à plus de communautés, de toucher un maximum de populations, porté qu’il sera par la littérature qui transcende les frontières spatiales et temporelles, virtuelles et réelles. Et l’internet est un formidable moyen de propagation et de diffusion de la littérature à l’échelle planétaire. Les cultures sont appelées à se mélanger et l'internet accélère ce processus de brassage des idées et des idéologies.

Un jour, la littérature arrivera à convaincre le monde que la diversité des races, des cultures et des religions est une source inépuisable de richesse, où chaque peuple aurait intérêt à s'abreuver, jusqu'à la satiété, pour le bonheur et la sécurité de l’humanité.

Quand on parle mondialisation, on comprend écoute et ouverture aux autres, naissance de l'homme, citoyen de l’univers et non de frontières étriquées, bâties selon une conception réductrice et ségrégationniste du monde. C'est un non formidable aux nationalismes divers, au chauvinisme et à la xénophobie.

Dans le contexte de la mondialisation, il n'est plus envisageable de rester dans son coin, replié sur soi et sur son ethnie, ignorant les autres et le monde. La rencontre est inévitable. Échanges, partage et respect deviennent des concepts brandis triomphalement par l'homme qui se veut résolument tourné vers la modernité et le bien-être général.

En connaissant mieux les autres et en se connaissant mieux soi-même, on avance inexorablement sur la route du progrès social et culturel, du bonheur.

On se compare et on s’identifie aux autres, on se juge par rapport à eux et c’est la littérature qui permet cette introspection, ce voyage au fond de soi et des êtres, cette inquisition intra et interhumaine, cette recherche permanente du moi et des autres. Une formidable confrontation des êtres et de leur vision du monde.

Je pense aussi que la littérature, quand elle les englobe, humanise, épure, adoucit la documentation sociologique, philosophique, historique ou autres. Elle la dote de sentiments, d’esthétique, de musique, de poésie et la rend donc plus assimilable et plus accessible à la multitude.

Je perçois l'être humain comme une main tendue. Si cette main tendue ne s'exprime pas physiquement ni oralement, les yeux le disent clairement et le cœur le scande au rythme de ses battements.

L'être humain a besoin de l'autre pour exister, pour vivre, pour aimer, pour apprendre, pour devenir, pour comprendre.

Tout seul, il dépérit et s'il ne disparaît pas, il perd au moins son humanité.

Cette main tendue sera-t-elle saisie par la littérature, qui rapprochera deux mondes, réconciliera deux cultures et fera du respect de l'autre dans sa différence l'objectif des décennies à venir.

Tout cela relève plutôt du domaine des rêves, mais j'ai souvent entendu dire qu'il n’est pas interdit de rêver …

Pour conclure, je transcrirai ici quelques fragments que j'ai écrits, au sujet de mon rapport à l'écriture et à la lecture :

La lecture me tire de ma léthargie, de mon incertitude, de la solitude de mon esprit, de cette tristesse latente, dont je n’arrive pas à déterminer la source, pour la tarir à jamais ou m’en désaltérer à mourir. Sans elle, je suis là, indécise, sans savoir exactement pourquoi. Je tâtonne dans les méandres d’un jour blême qui refuse de se découvrir à moi, qui me tend ses mains pour abandonner les miennes tout de suite après. Je ne sais plus si c’est l’incertitude et un vague désespoir qui me tiennent sous leur coupe ou si c’est moi qui les tiens. J’en tresserais bien un collier dont j’ornerais la frontière de mes sensations.

L'écriture est inséparable de cette tristesse-là, toujours à l’affût d’un mot, d’une image, pour que, telle une déferlante, elle ravage tout sur son passage. Écrire, ce bonheur et ce chagrin emmêlés, inextricables. Devrait-on pleurer de bonheur ou rire de chagrin ? Pourquoi sommes-nous ainsi ? Je ne sais pas, je sais seulement et c’est de plus en plus clair pour moi, que nous les écrivains et poètes, pour notre malheur ou pour notre bonheur, je ne sais pas non plus, nous sommes de la race malheureuse des artistes, des écorchés vif, des mélancoliques, des insatisfaits, des rêveurs incorrigibles, des idéalistes aux mains vides et aux cœurs débordants d’amour de la vie, d’amour de la beauté. Et nous n’avons pas dit notre dernier mot ...

 

Je voudrais faire un tour

Du côté des désirs,

À la recherche de quoi,

Je ne saurais le dire…

Enfanter dans la douleur,

Enfanter dans le plaisir…

C’est toujours cela écrire …

Le partager est une

Partie de ce délire …

....................................

À ceux qui aiment écrire

qui aiment le monde

qui aiment lire

qui aiment l’humanité

avec ses défauts et ses qualités

qui aiment la vie,

ont peur de s’y aventurer

tout en le faisant quand même

pour qui tout est prétexte

à fêter l’existence

à fêter tout ce qui a

ou n’a pas d’importance

le bonheur d’être là

le bonheur d’être ailleurs

tout en rêvant d’autre chose

chose si proche

et si loin à la fois

l’espoir incertain

de la tenir en main

tout en appréhendant

ce moment-là

la vie, le bonheur

l’existence, tous ses aléas

un grand point d’interrogation

que nous avons envie

de tenir dans nos bras

 

Ces derniers poèmes sont extraits de mon site :www.aichetouma.com

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(*) prononcé par l'auteure- qui est mauritanienne- lors de la Quatrième Rencontre Euromaghrébine d'Ecrivains sur le thème "Littérature et dialogue" qui s'est tenue en Tunisie, du 4 au 6 mai 2016  au Palais Ennejma Ezzahra-Sidi Bou Saïd. 

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