La « françafrique » sous de nouveaux visages

Frank Paris est le Conseiller Afrique de l’actuel président français. Enarque et de la même promotion que son patron, il est relativement jeune comme lui : il a un peu plus de 40 ans. Pour beaucoup d’observateurs, il est en train de révolutionner la politique africaine de la France. C’est l’antithèse même de la « françafrique », estiment-ils, réconfortant ainsi l’image et le message qu’aiment bien véhiculer l’occupant de l’Elysée et son collaborateur.

« … Opportuniste, je l’assume ».

Mais à y regarder de près, on décèle dans les propos de Mr Afrique du président Macron un « néo Jacques Foccart », moderne et opportuniste, qui s’adapte avec l’évolution du monde, en donnant l'impression qu'il épouse totalement son temps en se détachant du passé néocolonial de son pays.

Les auteurs du livre « le piège africain de Macron » analysent sa stratégie et le citent plusieurs fois. L’extrait suivant de leur ouvrage en dit long sur sa vision de la politique africaine de la France :

« Frank Paris s’exprime le 12 avril, en petit comité, lors d’un cocktail dînatoire », écrivent-ils avant de reproduire les propos du Conseiller Afrique du président français :

« C’est au niveau des territoires (chambres de commerce, grandes écoles…) que nous allons nous projeter en Afrique dans la durée, explique-t-il en développant comme jamais la stratégie présidentielle. Il nous faut des relais dans nos relations avec l’Afrique : ce sont les diasporas sur les plans culturels et économiques. Notre projet est de donner toute leur place à ces diasporas. On vient, de manière opportuniste, je l’assume, prendre cette dynamique. Elles sont là dans un plan global. C’est le lien humain entre la société française et les sociétés africaines qu’il nous faut reconstruire. (…) Le changement de thème, avec des relations économiques et surtout culturelles, c’est le marqueur du Président. On va aussi développer les thèmes de l’éducation, de la santé, du sport… On s’était enfermé dans une relation de sécurité et de migration »[i]

Comme « Monsieur Afrique » du Général De GaulleFrank Paris est chargé de veiller sur les intérêts de la France en Afrique. Et il s’y investit entièrement en s'efforçant d’innover, ou plus exactement en jouant à l’opportuniste. Un caractère qu’il avoue et assume totalement. "On vient, de manière opportuniste, je l’assume, prendre cette dynamique", avoue-t-il dans l'extrait précédent. Pour lui, il ne s’agit plus seulement d’exploiter les matières premières : culture, sport, arts… constitueront désormais le contenu de la nouvelle politique française sur le Continent noir, et les diasporas africaines l’un de ses vecteurs essentiels.

Un marché de 2,4 milliards de consommateurs, en majorité jeunes

Il faut reconnaitre que Frank Paris a vu juste : produits culturels et activités sportives occupent aujourd’hui une place prépondérante dans l’économie mondiale et un enjeu de taille dans la géopolitique et les relations internationales. Or, l’Afrique en regorge.

Quant aux diasporas africaines, elles sont entreprenantes et dynamiques. Selon l’African Institute for Remittances (AIR), elles auraient envoyé, en 2017, dans leurs pays d’origine, 65 milliards $US[ii]. Bien que probablement sous-évalué, ce montant est largement supérieur à celui de l’aide publique au développement que les pays avancés accordent à l’Afrique[iii]. Les diasporas participent aussi activement aux débats politiques dans leurs pays et aux activités associatives, culturelles et sportives à travers le monde. S’en servir pour les intérêts de la France constitue un pilier fondamental de la stratégie adoptée par Frank Paris.

Cependant, comme l’Afrique n’est la chasse gardée de personne, l’Elysée doit s’accommoder, mondialisation oblige, avec le multilatéralisme et les concurrents qui s’y sévissent. Exactement comme De Gaulle et son équipe avaient accepté et composé à leur époque avec les mouvements et courants indépendantistes dans les colonies françaises en Afrique au milieu du siècle dernier.

 La bataille est d’autant plus rude que toutes les puissances, classiques ou émergentes, convoitent ce continent qui comptera en 2050 près de 2,4 milliards d’habitants dont plus de la moitié auront moins de 25 ans.

Face à ce grand marché, aux consommateurs en majorité jeunes et dynamiques, qui recèle d’énormes potentialités multiformes, humaine, culturelle, économique… la France a intérêt à innover. C’est à cette tâche que s’attèle le Conseiller Afrique du président Macron, en essayant de donner un nouveau contenu à la relation France- Afrique et en y engageant les diasporas africaines.

De leur côté, les Africains, gouvernants comme acteurs non gouvernementaux, doivent en être conscient et se comporter eux aussi en opportunistes. "Nous devons savoir « nous faire vendre », devaient-ils se dire, non seulement vis à vis des Français, des Européens, des Américains, des Russes... mais par rapport à tous les partenaires, quels qu’ils soient : ChinoisTurcsBrésiliens...

El Boukhary Mohamed Mouemel

 

[i] Antoine Glaser et Pascal Airaut : « Le piège africain de Macron- Du Continent à l’Hexagone », Edition Fayard, mars 2021, page :110.

[iii] Op.cit.

category: 

Connexion utilisateur