L’âme silencieuse, mauvaise interprétation de souvenirs de lycéen ou anti film ?

Je viens de regarder un film. Je ne me souviens pas en avoir vu comme lui. Je dois cependant reconnaitre que  je ne suis pas un grand cinéphile, et encore moins un bon connaisseur du 7ème art et ses subtilités ;  loin s’en faut !

Un jeune compatriote plasticien, Oumar Ball, m’a fait gracieusement parvenir sa version vidéo via une autre artiste, Isabel Fiadeiro, la présidente de la maison Zein Art.Concept de Nouakchott. Je remercie ces deux amis dont j’apprécie beaucoup les œuvres. Et à leur tour, ils me rendent bien la grande estime que je voue pour eux, en me donnant fréquemment l’occasion de découvrir leurs beaux talents.

S’agissant du film, aussitôt que j’ai visionné la vidéo, celle-ci me fit replonger dans mon histoire personnelle relativement lointaine, pour me retrouver à plus de trois décennies et demie passées. À l’époque, quand je préparais mon bac, série Lettres Modernes Arabes, j’avais appris l’existence de l’anti roman comme genre littéraire. Si mes souvenirs sont bons, je me rappelle que le prof le définissait comme une forme de littérature romanesque en opposition aux règles du roman habituel.

Les héros s’effacent de fait, car on ne sait pas très bien qui ils sont, ni ce qu’ils font exactement. Leurs portraits et leurs actions sont flous : il n’y a ni analyse psychologique, ni chronologie des événements…  Et intrigues et dénouements ne sont pas aussi visibles, ni nettement structurés, que dans un roman classique.

Le film, « l’âme silencieuse », me fit un moment revivre intensément mon cours littéraire de jadis au point de me demander s'il n'existe pas un genre de production cinématographique comparable à l'anti roman, appelé "anti film".

Les deux personnages principaux du film, la cinéaste française Françoise DEXMIER et le jeune peintre mauritanien Oumar Ball, sont tout aussi acteurs qu’auteurs. Même si  à l'écran, on ne voit essentiellement qu'Oumar Ball, les deux se racontent sans vraiment le dire, en évoquant une expérience artistique originale qu’ils ont décidé de mener ensemble en « s’isolant du monde ». Leur refuge : le Fouta, une région agropastorale dans le sud de la Mauritanie qui constitue le pays natal du jeune artiste mauritanien. 

La narration fait rêver ! Elle est conduite différemment selon les dons et le métier de tout un chacun : au moyen de pinceau, de gestes et de mouvements drôles pour l'un, et par l'objectif d'une caméra en quête de détails subtils et de paysages pittoresques, pour l'autre. Vu sous cet angle, le film appartient en principe au genre documentaire. Auteur et producteur l’intègrent effectivement dans ce registre.

 Seulement, pour le simple "consommateur" assez peu averti que je suis, ce film est beaucoup plus difficile à classer qu'il n'y parait. Comme son nom l’indique, « l’âme silencieuse », il est avare en commentaire, et le scénario n’est pas facile à saisir. Son fil conducteur me semble, volontairement ou pas, empreint de discrétion. Un regard intérieur profond de la part de la cinéaste, une musique et une poésie sans mots en tiennent lieu. Les couleurs, les sons, les gestes et mouvements d’Oumar Ball et de ceux qui composent son double environnement, artistique et africain, constituent les paroles et les notes.

C’est la caméra de sa complice qui écrit tout cela à travers des séquences saisissantes qui captivent le spectateur et suscitent sa curiosité. Elles vous donnent souvent l’impression d’être en face de quelque chose d’inachevé, vous poussant à souhaiter obtenir toujours plus d’informations : plus de mouvements et plus de couleurs, plus de poésie et plus de musique.

Qu’il s’agisse d’œuf en éclosion ; de mil qu'une jeune dame écrase au pilon dans le fond d'un vieux mortier creusé dans un morceau de tronc d'acacia ; de troupeau de vaches qui se baignent dans une rivière indéfinie; de poules ou coqs picorant maladroitement aux abords immédiats de lit ou de couchette occupés… de lignes de dessins tracées à la main avec des liquides visqueux ou avec des pinceaux, sur toile ou sur la surface d'un sol de latérite en pleine campagne… on est profondément interpellé par ces scènes énigmatiques, dont on ne voit pas venir le dénouement. On dirait un genre de fiction bizarre qui ne dit pas son nom, où les faits n’ont rien d’imaginaire.

En choisissant de vivre intensément une telle situation, les deux aventuriers ont pleinement réussi leur pari. Pour eux, le dépaysement était bel et bien au rendez-vous. Il l’est également pour ceux, comme moi, qui ont eu la chance de voir et d’écouter cette belle et profonde poésie de l’âme silencieuse que Françoise DEXMIER a su faire parler sans trahir son silence. Un silence qui regorge de bruit, de vie...

El Boukhary Mohamed Mouemel

Séquences du film: cilquer ici

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