Je t'empoigne, pays,
je brûle mes yeux à tes yeux,
je parle à ton regard
je te secoue, pays,
je te pose les questions d'avant,
je dessine la parole
je te dis : vois moi, pays,
vois celle qui est,
je crie dans ton cou
Je te parle, pays,
je te parle,
tu n'entends pas,
tu n'as jamais entendu
Quel nom m'as tu donnée, pays?
Quel sang as tu fait couler dans mes veines?
Quelle langue m'as tu offert en héritage?
Je te parle, pays,
je te parle,
je te parle depuis ma première parole
je te parle, tu ne me parles pas, pays
Au fonds du marigot gît la femme sans nom,
la femme sans papiers,
la femme sans tente
je te parle, pays,
je te parle, regarde moi quand je te parle,
tu es le Lam, le Alif, le Kaf, pays,
tu es éternité et présent
Au bout du minaret la femme s'imprime,
le femme sans homme,
la femme laissée
je te parle, pays,
je parle à tes ocres, à tes aubes, à tes nuits,
je parle à tes perles, à tes vents, à tes sables,
je te parle, pays, je te parle de cela et de tout
Regarde, pays, regarde la petite fille assise sur la dune,
regarde la...
elle n'a pas de lit, elle n'a pas de toit,
elle n'a pas d'identité
je te parle, pays,
à qui réponds tu?
je te parle...
je te parle et je te dis :
je suis, malgré toi, malgré eux, malgré nous...
je te parle, pays,
entends l'enfant
mercredi 10 juin 2015
Mariem Mint DERWICH
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(*) Difficile de trouver une présence aussi forte du pays, de la Mauritanie, dans l'oeuvre d'une poète francophonne aussi talentueuese que Mariemm Mint Derwich. Bien que physiquement, elle n'y vit pas toujjours, son coeur, y est en permanence. Ses mots/ maux y prennent leur source, s'y abreuvent et y habitent éternellement.