J'étais à Dakhla depuis trois jours par le vol régulier d'Air Mauritanie via Nouadhibou. Ma mission était bouclée, du moins dans cette garnison le jour même grâce à l'aide de mon ami et Chef d'Atelier, l'adjudant Thiam Djigo. Compte tenu du doux et excellent climat de cette ville, j'ai voulu profiter pour prendre "quelques jours de vacances" avant de rejoindre Argoub par la vedette, y passer une demi-journée à fin de compléter ma mission et continuer par le biais des patrouilles sur Awsred et Inal. Dakhla, a la même configuration que Nouadhibou: une presqu'île. Construites dans un style espagnol, ses habitations offraient un confort relatif et les toitures à deux niveaux régulaient une température intérieure très agréable. Dès quinze heures, la brise marine soufflait, donnant presque froid.
Son entrée était sécurisée par un détachement marocain en coordination avec nos troupes. J'étais avec Thiam Djigo quand nous fûmes rejoints par un autre ami, un adjudant-chef des transmissions nommé Dia Abdoul. Un monsieur d'une gentillesse immense. Je les ai connus tous les deux à F'derick avant la guerre, lors de ma première mission au Nord en 1972. Depuis lors, apparemment ils ne se sont pas quittés. Ceci rendait mon séjour plus agréable.
Il entra et nous salua.
- Deux nouvelles, les gars, dit-il. Une bonne et une mauvaise.
Thiam, qui parlait, se tut, anxieux et interrogatif.
- La bonne, poursuit-il, est que des prisonniers pris par Khouna à Zoueratt on déclaré qu'une colonne du Polisario se dirige vers Nouakchott...
- Encore! L'interrompis-je
- Ce n'est pas tout, continua-t-il, il se peut que dans cette colonne se trouve El Wali. Le but c'est d'aller prendre le pouvoir. J'espère que cette fois, on va les tuer tous et en finir une bonne fois avec cette guerre.
- Ah, Oui! Thiam et moi réprimes en chœur.
- La mauvaise est que tu retournes demain à Nouakchott. On t'a dit de revenir immédiatement. Il y a le "Skyvan" qui vient demain.
- M...! S'exclama Thiam.
Sur ces entrefaites, un soldat entra et me dit de répondre au capitaine. C'etait le Capitaine Sidina. Je le trouvais dans son bureau. Lui je l'ai vu la première fois à Bir. Un monsieur hors du commun. Aimable, humain et sociable. Je lui adressais un salut militaire impeccable. Il me lança un "Repos". Et me tendit un message tout en poursuivant:
- Tu dois rentrer demain. J'espère que tu as fini ta mission?
- Pas tout à fait répondis-je. Il reste Argoub.
- Ce n'est pas grave. Tu pars dans le "Skyvan" de demain. Et ton séjour ici?
- Un peu court, à mon goût.
Il poussa un petit rire.
- Il sera plus long la prochaine fois. Tu remettras ce pli à ton chef. Et merci beaucoup.
Je lui redonnai son salut, fis demi-tour. Et au moment d'ouvrir la porte, il me lança:
- Tu es au courant?
- De quoi mon capitaine?
- De l'imminence d'une attaque à Nouakchott?
- Quoi? Répondis-je, feignant la surprise.
- Oui ; on ne sait pas quand, mais les salauds sont en route.
Je sortis du bureau. Quand je vous disais le degré de confiance qui régnait dans l'armée en ce temps là!
Dans le "Skyvan du lendemain, il y avait Benzonni comme pilote, l'adjudant chef Ndiaye Amadou qui décédées plus tard dans l'avion de Boucril et l'adjudant Abdrahmane que nous appelions affectueusement le Saintlouisien ou Abder. Plus gentil que celui-là, plus sociable et jovial, on meurt.
Mais il y avait aussi dans cet avion, de la marchandise. Beaucoup de marchandise. On se croirait sur les camions "Berliet" d'antan. J'étais le seul passager avec un autre civil que je ne connaissais pas. Assis sur les bagages, ma tête touchait le plafond. Quand les avions décollaient de Dakhla en ce temps là, ils tournoyaient au-dessus de la ville jusqu'à prendre leur altitude avant de prendre leurs caps, pour prévenir les tirs ennemis.
Ce jour là, décoller était tout un problème et il était impossible d'atteindre le niveau. Dans l'avion, nous étions tous en sueur, presque morts de peur sauf le pilote qui, apparemment, en avait vu d'autres. Et pourtant, des fois, l'avion décrochait jusqu'à déclenchement des alertes. Nous longeâmes la côte jusqu'à Nouadhibou. Dès l'atterrissage, je prenais mon sac, mon fusil et mon "Double Sanyo" et débarquais.
Abder me regarda et dit:
- Mais tu descends ici?
- Oui! Lui répondis-je, la bouche sèche.
- Je croyais que tu allais à Nouakchott?
- Non! Je me suis rappelé que je dois faire quelque chose ici.
Il dit quelque chose que je n'ai pas eu le temps d'entendre. Je me dirigeais vers la sortie, helai un taxi qui m'amena à la base marine chez mon ami Diakite Lamina.
Le lendemain, je prenais le Fokker pour Nouakchott.
Je suis militaire mais pas suicidaire.
( A suivre.....)
Source : page facebook de Bakary Waiga
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