Guerre d’Ukraine : comédies et paradoxes !

Comme tout conflit armé, la guerre en cours depuis une semaine en Ukraine a sa bonne dose d’incertitudes et de complexités. Les interrogations, qu’elle suscite, et ses paradoxes, prennent des formes ou visages multiples. En faire le tour c’est prétentieux et, donc, hors de propos. Selon l’angle d’attaque, ils peuvent cependant revêtir parfois un aspect amusant ou satirique.

Poutine prix Nobel de Médecine !

La guerre de l’Ukraine vient à la fois prolonger et supplanter la pandémie de Covid 19. Elle lui a ravi totalement la place sur le terrain médiatique et dans les relations et forums internationaux. Subitement, « pandémie », « OMS », « confinement », « vaccination »… tout ce langage sanitaire a quasiment disparu. Plus personne n’en parle. Ou presque. Vladmir Poutine l’a fait oublier, en volant la vedette au coronavirus. Pour cette raison, certains vont jusqu’à proposer le chef du Kremlin pour le prix Nobel de Médecine. Même s’ils ironisent, pourquoi ne pas le lui attribuer effectivement ! La comédie mène à tout. Le prix Nobel n’y échappe pas. Dans la liste de ses lauréats, ne trouve-t-on pas Menahem Begin, Yitzhak Rabin, Shimon Peres, Aung San Suu Ky et Abiy Ahmed ? Pour ne citer que ces cinq. Tous sont impliqués, chacun dans son pays, ou sa région, dans des crimes ou exactions très graves que les organisations des droits de l’homme condamnent énergiquement. Elles les qualifient de « crimes de guerre », « génocide » ou « crimes contre l’humanité ». Et dire que ces présumés criminels, les Israéliens, la Birmane et l’Ethiopien sont « Nobel de la Paix ! ». Quelle insulte à la mémoire des milliers de victimes parmi les populations palestiniennes, rohingyas et tigréennes !

Un troisème larron

Un autre paradoxe frise le ridicule : les deux belligérants, russes d’un côté, et ukrainiens et occidentaux de l’autre, se battent, s’entretuent, tandis qu'un « troisième larron » récolte tranquillement les fruits de la guerre. La Chine est incontestablement le premier bénéficiaire du conflit bien qu’elle n’y prend pas part. Comment maximisera-t-elle cette victoire facile, que lui livrent les protagonistes sur un plateau d'argent ? Un premier objectif que les autorités de Pékin affichent habilement : détrôner sans tarder les États-Unis et occuper le rang de première puissance mondiale. Il y a de très fortes chances qu’elles y arriveront rapidement. Comment est-ce que les Chinois assumeront-ils ce statut ? Quelles seront ses incidences sur les équilibres géopolitiques et relations internationales ? Assisterons-nous à une renaissance d’une bipolarisation du monde, ou à la mono-polarisation de celui-ci ? Ou plutôt amorçons-nous un tournant historique caractérisé par l’émergence de puissances et centres de gravités multiples qui complexifieront les relations internationales et engendreront une multi polarisation du monde aux contours difficilement définissables ?

Guerre nationale, ou guerre mondiale ?

Côté russe, l’invasion de l’Ukraine est un impératif géostratégique pour assurer la sécurité du pays. La vision du Kremlin est d’abord nationaliste : protéger la Fédération de Russie contre les menaces que fait peser sur elle l’élargissement de l’OTAN et l’Occident, à ses frontières. Par la même occasion, Moscou envoie implicitement un message à tous ses concurrents, adversaires ou ennemis, potentiels ou futurs. A tous, Poutine lance un avertissement très fort en faisant parler son terrible arsenal militaire contre « l’indocile » et « imprudente » Ukraine. Il s'adresse à tous les Etats. Même les « camarades » chinois savent qu’ils sont concernés. Leur statut de future première puissance mondiale fait de leur pays un destinataire incontournable de la mise en garde indirecte de la Russie.

Les Etats-Unis et leurs alliés européens et occidentaux, eux, perçoivent et traitent la crise sous un angle global, qui dépasse les motivations nationalistes de Poutine. Le très large front qu’ils ont constitué, l’ampleur de leurs mesures prises contre la Russie et leurs incidences multiformes, financières, économiques, diplomatiques, militaires, sportives, culturelles… donnent en effet une dimension extranationale au conflit.

Paradoxalement, la guerre est donc perceptible sous un angle double. Elle à la fois nationaliste et mondiale. Préconiser telle ou telle approche dépend du camp où l’on se situe.

Systèmes financier et économique contre systèmes d'armes létales

Les gigantesques arsenaux militaires et systèmes d’armes russes sont sans commune mesure avec les moyens ukrainiens. Le rapport de force serait globalement de l’ordre de 1/10 en faveur de la Russie, tous types d’armes confondus ; sauf en ce qui concerne les armes nucléaires où les moyens ukrainiens sont absolument nuls dans ce domaine. Un rapport de force très défavorable pour les Ukrainiens, d’autant plus que leur pays partage de très longues frontières avec la Russie qui, de ce fait, l’entoure de trois côtés : nord, est et sud. Toutefois, l’Ukraine bénéficie du soutien « généreux » et de l’appui actif du monde occidental dans son ensemble. Une grande alliance de pays riches qui mobilisent leurs systèmes financiers et économiques comme arme de guerre. Le SWIFT[i] constitue la pièce maitresse dans cet arsenal non létal. Ses détenteurs en privent la Russie. Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie et des Finances avait qualifié une telle sanction « d’arme nucléaire financière ». En plus, les pays occidentaux imposent à la Russie un embargo multiforme : économique, sportif, culturel… Ils mènent contre elle une guerre économique d’une intensité à même de neutraliser l’adversaire au final, selon leurs calculs. Sauf que les résultats ne sont pas aussi rapides que ceux des armes létales et ne manqaueront pas d'avoir des repercussions négatives sur ceux qui les appliquent-. Ils sont toutefois lourds de conséquences principalement pour la cible. Pour y répondre, ou pour multiplier leurs effets, on constate de part et d’autre l’emploi d’éléments de langage terrifiant, liés aux armes nucléaires. Cela ajoute une dimension politique inquiétante à la crise, mais n’apporte pas forcement une valeur ajoutée matérielle aux systèmes d’armes déployés dans le conflit. Ceux-ci suivront à priori les deux trajectoires déjà évoquées :

·Côté russe : l'intensification de la mise en œuvre d’arsenaux militaires de plus en plus nombreux et performants.

·Côté occidental : le développement et l’élargissement de systèmes de sanctions financiers et économiques à un rythme sans précédent.

Cette extraordinaire mise en confrontation de haute intensité sans précédent, entre armes létales et armes économiques, ouvrirait peut-être de nouvelles perspectives dans les sciences de la guerre. Il en découlera certainement de nouvelles pistes de recherche et de réflexion qu’exploreront polémologues et stratégistes.

El Boukhary Mohamed Mouemel

category: 

Connexion utilisateur