Il y a un petit moment, je découvrais un blog d’un compatriote pas vraiment comme les autres. Demba, comme le surnomment ses amis, est une « pépite » de l’écriture. Aussitôt, je l’appelai à plusieurs reprises par téléphone en insistant à chaque fois. Puis, j'appris qu'il est à des milliers de km de moi, à Charigha aux Emirats Arabes Unis, où il se trouve depuis hier, invité comme intervenant dans le cadre d'un festival international organisé sur le thème de "la littérature populaire". Ce qui ne me surprend nullement : à ma connaissance, Demba, de son vrai nom Mohamed Ould Ahmed Meiddah, est la meilleure reférence moderne mauritanienne en matière de poésie hassanya.
Après l'avoir localisé, je réussis enfin à le rejoindre via face book. Notre rencontre, bien que courte et réalisée à distance, est loin d'être décevante. Son résultat : à titre gracieux, Mauriactu puisera désormais à volonté dans le blog http://dembameiddah.blogvie.com/
Aussitôt dit, aussitôt fait, avec le bel hommage suivant écrit il y a plus de quatre ans sous le titre, « Ecole de Méderdra : Les Directeurs » que notre rédaction a legérement modifié en y ajoutant "... un bel hommge de Demba".
El Boukhary Mohamed Mouemel
"Après Madame Charbonnier, l’école n’a pas connu de rupture et plusieurs enseignants français et indigènes s’y sont succédés. Il y en avait des maures, dont certains excelleront plus tard dans l’interprétariat et accéderont à de hautes fonctions administratives.
A son rythme, l’école de Méderdra (l’une des premières écoles dites modernes de la Mauritanie) forma beaucoup cadres nationaux dont la plupart n’avaient rien à envier aux sortants des grandes écoles occidentales.
Elle connut plusieurs directeurs… Les archives de l’école et la mémoire des anciens élèves en ont retenu certains : Henri, Pacquet, Gérard, Le Couteau, Pierre, Teffahi Mourad, Papa Diallo, Aly Ndao, Seiny Ndiaye et surtout Abdellahi Diallo, celui que j’y ai connu et dont je parlerai tout au long de ce document avec affection et respect.
Il s’agit du ‘’Directeur’’ tant ce titre ne me paraît pas pouvoir coller à quelqu’un d’autre que lui. Hier et bien sûr aujourd’hui…
En effet, la personnalité d’Abdellahi Diallo mérite une mention particulière car il n’est pas donné à tous de rencontrer un enseignant pareil durant leur parcours scolaire.
Respecté aussi bien par les élèves que par les maîtres, Abdellahi Diallo (Abdellahi Ould Cheikh Ould Balla, de Boutilimit) était un instituteur d’une espèce rare… Avec lui, ‘’il n’y avait pas de demi-mesure… Il fallait réussir ou mourir’’ … Pas de complaisance non plus et surtout, pas temps à perdre!
Je le revois encore, arpentant la cour de l’école d’un pas assuré et presque cadencé. Tout chez lui était solennel : Sa tenue vestimentaire, sa voix grave, son regard perçant, son volumineux porte-clefs et même la cravache pendante à sa main droite et dont il ne se servait qu’en cas de force majeure…
Ainsi, il dirigeait d’une main de fer les 6 classes qui composaient la structure pédagogique de l’école de Méderdra.
Sur le plan des connaissances scolaires, je lui suis redevable de tout car, je l’avoue, mes longues années d’enseignement secondaire et supérieur ainsi que les multiples stages de recyclage ou de remise à niveau que j’ai effectués durant ma longue carrière professionnelle, ne m’ont rien appris qu’il ne m’a enseigné, au cours moyen deuxième année (CM2) à l’école de Méderdra.
C’est pourquoi, depuis que je suis devenu capable de voyager seul, je me suis imposé le devoir de lui rendre visite régulièrement à Boutilimit où il avait pris une retraite bien méritée après avoir passé ses dernières années de service dans le commandement administratif comme chef de subdivision, quelque part à l’est du pays.
La dernière rencontre
Notre dernière rencontre remonte à Janvier 1998 … J’étais déjà inspecteur de l’enseignement fondamental et, profitant d’un bref passage à Boutilimit, j’ai tenu à le revoir pour me ressourcer et savourer à travers lui, les délices de la conscience tranquille et du travail bien fait.
Le temps d’un thé pris ensemble, mes pensées m’amenèrent trente années plus tôt, et je me surpris en classe de CM2 à l’école Follanfant, à écouter la voie magistrale de mon Directeur lisant une dictée de contrôle titrée ‘’Nuit dans la brousse’’ dont j’ai mémorisé certains passages. Elle commençait ainsi :
« Une lune ronde et lumineuse distribuait sa lumière argentée sur la brousse que hantent les bêtes sauvages. Un lion rugit au loin et les antilopes craintives se cachent dans les buissons. La silhouette difforme d’une hyène se profile sur un rocher qu’ont abandonné les serpents frileux… »
Ce jour-là, je récoltai un magnifique zéro faute qui m’a valu un compliment agrémenté d’un bref sourire du Directeur. Que pouvais-je espérer de mieux?
La mauvaise nouvelle
Peu de temps après cette rencontre inoubliable, j’appris qu’un fâcheux accident de la circulation avait mis un terme à la vie de mon Directeur, non loin de son village natal.
J’étais alors responsable de l’inspection de l’enseignement fondamental de Méderdra et mon bureau se trouvait à quelques mètres de la pièce qui lui servait de salle de ‘’domptage’’ pour ceux qui n’apprenaient pas leurs leçons ou qui osaient faire ‘’le gros dos’’.
Dans cette même salle, j’avais une fois eu la malchance de passer un moment apocalyptique pour avoir ‘’oublié’’ d’accorder le participe passé d’un verbe avec ‘’son complément d’objet direct placé avant lui’. En ces temps-ci, il n’était pas permis de commettre une faute pareille… Autre temps, autres mœurs !
Passées les cinq premières minutes de recueillement et de désolation, je fis sonner la cloche à 9 heures du matin. Et, devant tous les enseignants réunis dans mon bureau , j’improvisai le petit discours qui suit : « Je décrète une journée d’arrêt des cours, en signe de deuil à la mémoire de quelqu’un qui vous a précédés ici et dont la mort ne peut passer inaperçue à l’école de Méderdra… Surtout, pas de commentaires… Videz les classes ! »
J’ai pris cette décision sans prendre l’avis des autorités compétentes… Je n’ignorais cependant pas l’exiguïté de mon champ d’action et savais bien ce à quoi m’exposerait l’aventure de m’attribuer les prérogatives du ministre de l’éducation nationale…
Informé de mon acte par l’un de ses ”fréquentateurs” zélés, le Préfet du département (un jeune de moins de trente ans, fraichement sorti de notre Ecole Nationale d’Administration) piqua une crise de nerfs et m’envoya une sévère demande d’explication à laquelle j’ai jugé inutile de répondre, tant j’étais convaincu que dans l’entendement professionnel de ce petit administrateur pétri dans la médiocrité, il n’était pas possible de comprendre et de mesurer mon acte à sa juste valeur.
Il aura fallu l’intervention de mon Directeur régional (un ancien qui a connu l’illustre défunt) pour que je ne passe pas devant le conseil de discipline où j’aurais certainement peu de chance de m’en tirer sans blâme ou avertissement…
Certes, je savais que sous l’émotion, j’ai agi dans l’illégalité mais sans cela, je trainerais un remords jusqu’à la fin de mes jours…
Que l’âme du Directeur, Abdellahi Diallo, repose en paix !
Mohamed Ould Ahmed Meiddah dit « Demba »
Novembre 2012"