J’éprouve une grande gêne à parler de problèmes me touchant personnellement. Mais la retraite, je ne me fais aucun scrupule de la poser et de la reposer, parce qu’elle concerne des dizaines de milliers de Mauritaniens qui n’ont plus voix au chapitre. Dès lors que la principale préoccupation du pouvoir est censée être la satisfaction des doléances des citoyens, plaider cette cause ne doit pas être un coup d’épée dans l’eau.
Ce sont plusieurs générations de cadres et d’employés qui étaient mal payés durant leur carrière, maisse consolaient, au plan moral,du travail bien accompli et de l’auréole attachée à l’autorité de l’Etat.Aujourd’hui, ils sont des laissés-pour-compte, aussi bien matériellement que moralement. Ils supportaient les bas salaires, puisqu’en leur temps l’Etat avait de modestes moyens, et les voilà sacrifiés de plus belle, maintenant que le pays dispose de ressources considérables.
Le cadre qui égrenait les tâches à remplir, traversait les nuits blanches à boucler un dossier, perdait ses congés à coups de retenues de service, est réduit à manager un montant minuscule alloué trimestriellement par la Caisse des pensions. Son cerveau s’use à chercher des formules magiques pour ne pas tomber en disette dès la première quinzaine du premier mois de chaque trimestre. Il s’évertue à dispatcher des miettes, comme s’il avait à habiller un géant avec les vêtements d’un nain.
Le planton qui se dressait fièrement devant les grandes portes, toujours aux aguets pour ne rater aucune sonnette du patron, est contraint de taper aux petites portes, amoindri, en souhaitant que son sourire le dispense de quémander ouvertement. Entre le cadre et le planton, les agents intermédiaires qui portaient à bras-le-corps le labeur quotidien, sont condamnés à vivoter lamentablement, après avoir essayé, ici ou là, des prestations dont ils n’ont plus l’âge ni la dextérité.
Cette description excepte quelques privilégiés qui avaient eu droit à des avantages pou rde hautes charges et ceux, beaucoup plus nombreux, qui avaient pris goût à la malversation. Elle correspond à la situation d’un retraité ordinaire du secteur public ou parapublic qui a pour seul revenu une pension chaque jour plus modique, en termes de pouvoir d’achat. La décision de notification de la retraite est sans ambages sur le destin des retraités, en énonçant qu’il a été procédé à leur "radiation des corps"… mais aussi des esprits. Ils sont jetés à leur sort. On s’en débarrasse comme d’un os qu’on a soigneusement dégarni.
Il n’est pas à l’honneur de l’Etat que des cadres et agents qui l’avaient servi tant d’années soient attirés par les aides sociales d’urgence, destinées aux couches les plus nécessiteuses qui n’ont eu accès ni à l’éducation ni à l’emploi. L’Etat est avant tout l’image que la population se fait de lui. Il ne peut guère incarner, aux yeux des citoyens, les attributs de force et de grandeur qui doivent être les siens, quand les êtres qui l’ont personnifié, à un moment ou un autre de son histoire, deviennent si démunis, si insignifiants.
Ce qu’il y a de plus pernicieux dans cette situation,c’est qu’elle sanctionne, après coup, les hommes et femmes qui sont restés consciencieux et intègres tout au long de leur service, tout enportant en elle une incitation tacite au détournement des biens publics.De fait, il faut avoir une probité de fer pour ne pas céder à la tentation de se prémunir contre un dénuement aussi sévère, y compris par la corruption. Il serait donc illusoire de parler de lutte contre la gabegie, tant que les conditions de la retraite sont ce qu’elles sont.
Pour avoir été négligé par les régimes successifs, ce dossier s’est corsé au fil du temps.Cependant, un de nos adages dit que « les problèmes ont des dents mais ne mordent pas ». Cela veut dire qu’il ne faut pas reculer devant un problème en raison de son apparence difficile. Etant donné que la pertinence d’une réalisation se mesure à l’étendue de son impact, le règlement d’une situation qui affecte à l’extrême un important segment de la population ne peut être que salutaire. Le pouvoir actuel sera-t-il celui qui sortira des sentiers battus et prendra le taureau par les cornes, en vue de mettre en œuvre une solution majeure offrant aux retraités les moyens d’une vie décente ?
Le mieux à souhaiter serait une loi, pas d’habilitation mais de réhabilitation, en réparation des torts et humiliations dont ils sont victimes. Ils sont en droit de réclamer que leur soit reconnue et rétribuée, à sa juste valeur, la distinction morale qui leur est due, au titre de leur rôle dans la mise en place et le fonctionnement des institutions de la République.Toute leur vie active, ils ont assumé la noble qualité de serviteurs de la nation, avec abnégation, dévouement et esprit de sacrifice. Ils attendent de l’Etat un traitement à cette hauteur.
Mohamed Salem Elouma Memah
Entre-citoyens
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