Il y a un demi-siècle, Odette du Puigaudeau, croisait quelques élèves du Cours Supérieur de Boutilimit. Ses pensionnaires constituaient la crème de l’élite maure de l’époque. L’ainé, disait-elle, avait 20 ans et les cadets, entre 14 et 15 ans. Elle évoquait, entre autres, Almarhom Guewad Ould Ahmed Benan, Almarhoum Hamdi Ould Moknass, l’ambassadeur Sidi Bouna etc. Parmi cette élite, Odette remarquait un << jeune homme doux aux grands yeux de rêveur, au sourire un peu mélancolique et aux gestes alambiques>>. C’était Ahmed Babe Miské (ABM).
Cette année là, Odette avait pris un portrait photo d’ABM (20 ans) accompagné de ses frères et son grand père maternel l’illustre Bezeid Ould Saleck dans sa palmeraie d’Azougui, une contrée mythique de l’Adrar.
Auparavant, Odette avait connu ABM, tout petit, jouant dans la grande cour de sable rose ou son père l’interprète Miské habitait une grande tante de laine devant sa maison ouverte à la famille élargie. Nous étions au début des années 30 à Chinguetti avant la publication (1933-1934) du livre culte :" Pieds nus à travers la Mauritanie", qui fit connaitre en 1936 au public l’aventurière du désert et son amie Marion Senones.
C’est grâce à Odette qu’ABM <<découvrit les innombrables pièges, en même temps que les charmes de la traduction>>. Il en résulte plus tard sa traduction de l’anthologie de la poésie arabe de bilad chenguitt , le célèbre écrit de Mohamed Lemin Chinguity, sous le titre "Al Wassit, tableau de la Mauritanie au début du XX siècle".
ABM serait né le 30 mars 1931 à Chinguetti. Ce sont les archives du Ministère des transports qui l’établissent sur son premier permis de conduire N° 1795 délivré le 22 février 1958.
En 1948, il avait à peine 17 ans lorsqu’il rencontra le défunt Moctar Ould Dadah alors interprète à Bir Mogrein . Une photo illustre cette rencontre. Il était accompagné de son frère le regretté Ahmed Bezeid.
De gauche à droite, Moktar Ould Dadah, Ahmed Bezeid Ould Ahmed Miské et Ahmed Baba Ould Ahmed Miské
Philosophe, féru de poésie, militant au passé mouvementé, ABM était un bédouin atavique, un prince du désert. A la question qui lui est posée : qui êtes vous ? ABM se confond. <<D’Akjoujt, Chinguetti, Atar ? Trois fois oui. Mais il resterait mille autres lieux, ergs, rags, guelbs, mille pâturages ou j’ai vécu en me sentant chez moi chaque fois sans restriction, de l’Aoukar au Rio de Oro, de Nouakchott à Tidjikdja…je pourrai dire, à la rigueur, je suis du "Sahel" à condition d’y inclure au moins l’Inchiri et l’Adrar. Mais n’ai-je pas aussi bédouiné un peu au Hodh, à Boutilimit, en Guidimagha, sans compter le Yémen et le Hijaz…. >>.
Le nom de ce nomade moderne fut associé à toutes les causes de combat contre le colonialisme, l’impérialisme et aux mouvements de libération nationale ; de Fanon à Guevera , de Cohn Bendit à Abu Nidal, de Sékou Toure à Cabral, de la chine de Mao à l’Albanie d’Anvers Hoxha . ABM était un vétéran et un témoin avéré d’un siècle riche en histoire, de la décolonisation au lendemain des indépendances, en passant par la guerre froide et la mondialisation effrénée.
Journaliste tiers-mondiste gauchisant, le regretté avait fondé une revue sur les conflits du tiers monde dénommée "Zone des Tempêtes" au début des années 70, qui avait fait faillite après que certains numéros aient été frappées par la censure en France.
Politicien rusé et habile, alors qu’il était chargé d’enseignement à Paris X-Nanterre, il est parvenu par un coup de maitre à mobiliser un certain nombre d’étudiants français pour entamer des recherches sur une cause et un sujet brulant de l’actualité dans une zone de combats interdite aux medias : Le Sahara occidental.
Quelques soient ses errements comme aurait aimé le dire semble-elle, son ex épouse Anick Talbot, le doux A.Baba Miske, au sourire légendaire, fut un intellectuel multidimensionnel, d’une rare érudition, un libre penseur et un homme de dialogue. Décédé le 14 mars 2016 à Paris, ABM le nomade moderne a été inhumé ce mercredi au vieux cimetière du Ksar à Nouakchott. Il repose désormais à coté de sa mère Sweidou et prés d’un cercle familial qui lui est très cher.
Avec sa perte, la Mauritanie perd une mémoire vive et une bibliothèque de moins. Qu’Allah l’accueille dans son Paradis et que la terre lui soit légère.
Nouakchott, le mercredi le 16 mars 2016
Ahmed Mahmoud Ould Mohamed dit Jemal