A l'écoute des djinns de "Y" et ses oiseaux de paradis

Oiseau de paradis

Je ne sais pas si elle le fait toujours partout, ni pourquoi elle le fait ! Je constate seulement que dans ses commentaires sur face book, elle commence toujours chaque mot par lettre capitale, ou lettre majuscule si l'on veut.

Songeant au côté artistique dominant dans sa vie, je n’ai pas pu m’empêcher de penser qu’elle le fait volontairement, pour évoquer symboliquement des choses qu’elle préfère laisser un peu enfouies.

Voulait-elle, par exemple, insinuer par là des « trucs » qu’elle n’oserait pas avouer ouvertement ? Genre : des questions d’ordre personnel, intimes,  un peu embarrassantes…

De prime abord, j’écarte cette piste.

La question serait à la fois bien plus profonde, et plus simple. Selon mon intuition, il s’agirait d’une manière pour cette artiste talentueuse d’évoquer certains aspects des secrets qu’elle entretient dans son rapport au langage. Jouer sur un aspect de la graphie serait la technique ou le moyen qu’elle aurait choisis pour les révéler tout en préservant des côtés énigmatiques.

 Naturellement, le langage n’a pas trop de secret pour elle. Elle s’en sert tous les jours, aussi bien dans les communications banales de tout instant, que comme moyen d’expression artistique. C’est pourquoi elle s’adresse à lui, en interlocuteur plus proche que tout autre. En apparence, elle lui parle indirectement, mais dans la réalité elle le tutoie en complice, au moyen de couleurs, de symboles convenus entre eux.

 Dans leur complicité, on est en droit de penser que l’emploi généralisé de la lettre capitale, en initiale des mots, deviendrait un code.

Ne s’agirait-il pas d’un message que cette artiste, que je nommerai « Y », envoie à des interlocuteurs privilégiés, ou à qui voudrait l’entendre?

Ma question clairement posée, ou du moins selon ce que je pense à ce stade de la réflexion, j’entamai aussitôt mes recherches suivant ma méthode habituelle.

En petit badaud, curieux et souvent maladroit, j’ai commencé à flâner, non pas dans les rues ou dans les magasins ou marchés, mais dans des espaces immatériels, à la fois proches et lointains. Ces lieux ne sont pas forcement très intéressants, mais j’ai l’habitude de leur fréquentation, leur proximité et la facilité d’y accéder aidant.

J’y passais en effet toujours mon temps, me livrant à moi-même : la solitude m’abrite, m’écartant du monde, mis à part des gens virtuels que je croise sur les réseaux sociaux et sur la toile. C’est dire que ma solitude est la seule qui me tient régulièrement compagnie ; mais parfois je la trouve encombrante, et même détestable par moment. Malgré cela, je lui reste reconnaissant de m’accepter toujours.

Cette fois-ci encore, j’ai fait appel à cette fidèle parmi les fidèles. Je me suis refugié dans ses bras, m’amusant à creuser dans ma petite cervelle. J’essayais d’y puiser des clés pour débusquer ce que « Y» voudrait bien souffler discrètement, sans qu’elle ne cherche franchement à le dire. Je tenais à décoder ce semblant de message codé dont je ne suis pas du tout certain. Et paradoxalement, la ténacité que j’affichais, ne m’empêchait pas de me demander à propos de son existence même, comme objet de ma recherche : « est-ce qu’il existe réellement un message secret derrière l’usage par ‘’Y’’ de lettres capitales en début des mots? », ruminais-je régulièrement.

 « Quelle aberration que de courir derrière ses propres incertitudes et fantasmes comme si elles étaient des réalités tangibles ! », aurais-je du m’offusquer de l’absurdité de mon attitude.

Ne l’ayant pas fait, ma réflexion ne pouvait qu’être quelque peu fantaisiste. Je le reconnais. Je continue cependant de m’y accrocher. Elle m’a mis sur la piste de quelques idées, sous forme d’interrogations ou d’assertions que j’ai beaucoup de mal à énoncer et, encore, moins à prouver. Exactement, le contre- exemple de ce que préconisait Boileau :

 « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement - Et les mots pour le dire arrivent aisément».

                                                        

Quelques idées me venaient, d’abord petit à petit. Puis, de plus en plus envahissantes, elles se succédèrent rapidement, sans qu’elles ne me donnent vraiment satisfaction, ni le temps de vérifier leur véracité. Malgré cela, elles finiront par m’habiter comme des djinns, accaparant complètement mon esprit.

De bons djinns, j’espère, sachant que les méchants ne sont jamais loin. ‘’Que Dieu m’en garde !’’, priai-je dans mon for intérieur, m’évadant quelques secondes avant de reprendre le fil de mon raisonnement, toujours un peu tordu.

Car à défaut de trouver mieux, je ne pouvais que m’en accommoder, en attendant des explications meilleures qui puissent exorciser les mauvaises inspirations et les mauvais djinns. Peut-être que je les obtiendrais un jour auprès de l’artiste, elle-même.  Que sais-je ?

Et sa réponse ne tarda pas à venir, portée par ses djinns. Selon eux, en transcrivant les mots de la sorte, leur maîtresse voulait dire à chacun de ses interlocuteurs, au mot, au pinceau, aux couleurs… à toute forme d’expression artistique :

« Tu es unique, tu es le nom propre de toi moi-même ».

J’en ai compris tout de suite que ‘’Y’’ s’efforce de mettre en œuvre, d’une manière bizarre, une règle d’orthographe bien connue dans la langue de Molière, qui veut qu’en dehors des mots de début de phrase, seuls les noms propres commencent par une majuscule. Comme elle passe volontairement outre cette norme française, faisant de tout mot un nom propre, elle reste toutefois loin de vouloir commettre une cacographie. Non ! Elle crée son propre modèle de transcription des mots. Une bizarrerie, certes ! Pour autant, elle ne doit pas nous étonner outre mesure. ‘’Y’’ n’est-elle pas un peu folle, habitée par ses propres « djinns », elle aussi, comme tout artiste digne de ce nom !

Cette première explication effleurée, je me concentrais de nouveau sur le discours de ‘’Y", tel que rapporté par ses messagers, en soulignant la façon dont celle-ci continue d’interpeller le langage. Affectueusement et avec beaucoup de respect, elle va maintenant au-delà de la morphologie, pour vanter la qualité d'une belle forme d’expression :

« Tu as une profondeur énorme que nous sommes incapables de percevoir réellement. Tu es un iceberg : sondeurs, visiteurs et navigateurs ne voient que ta partie visible. Cette partie est la seule que je perçois moi aussi quand je te dessine, ou quand je te croise chez les autres ».

Et d’expliquer le sens de son propre acte symbolique :

« La lettre majuscule en est le symbole pour moi. C’est vrai que j’en abuse ! Mais n’est- elle pas de taille plus grande, d’un format plus élégant, plus visible, que toutes les autres lettres dont tu te construits l’ossature?

La mettre en tête de tout mot que je transcris, m’aide à dessiner ton originalité, à la toucher sous toutes ses formes : sonore, graphique … à écouter ta musicalité, tes couleurs, ta poésie… Bref : dialoguer avec ton envergure esthétique.  

À ce bel aspect apparent, que je qualifierais de « sensoriel », que constitue ton côté signifiant, s’ajoute la multitude des choses, de couleurs, de sonorités… que tu évoques, que tu inspires : le « signifié » que tu représentes, comme diraient les structuralistes ».

À ce stade du discours de «Y », et sans l’annoncer, je décrochai d’elle brusquement, gêné, un peu angoissé. Sentant un risque diffus qui me guettait, je renvoyai discrètement, et vite, les djinns : j’eus peur qu’ils me conduisent dans un monde que je ne comprends pas, qu'ils m'enfoncent dans l'inconnu.  Non ! Je ne supporterai pas qu’ils me laissent à la merci de l’univers impénétrable des concepts et notions inaccessibles.

En écoutant les dernières explications, que donnait «Y», par la voix de ses djinns, je me sentais effectivement déjà à la porte du gouffre, un peu perdu dans les abîmes de la perplexité, de mon ignorance : moi, le structuralisme, ce n’est pas du tout mon domaine ! Pourquoi m’en parlent-elles, ces créatures insaisissables ? Quelle malédiction !

 Ces diables, je les ai chassés, à la manière de n’importe quel bon musulman faisant face au mauvais sort : j’en ai appelé à la bénédiction d’Allah.
Et le bon Dieu a bien entendu mon SOS : un bel oiseau de paradis se présenta devant moi. Ses plumes et duvets peints en prière, avec de magnifiques doigts trempés de bleu. Un magnifique tableau ! Sur le fond de la toile, on pouvait lire :

"bismi lahi ar-Rahmani ar-Rahim !"

Me rappelant ce verset coranique, qui chante la Clémence et la Miséricorde du Seigneur, j’avais en effet entre les mains, l’arme qu’il fallait pour vaincre le mauvais sort. Comme chacun le sait dans mon pays, là où cette prière est prononcée, le djinn disparait, évanoui dans le néant. On me l’a tellement répété, que je la récite à tout moment et, souvent, sans m’en rende compte. Que vous dire alors, quand je sente un danger venir !    

Mes invocations faites, calme et sérénité revenaient progressivement. Je me suis ressaisi et j’ai repris ma réflexion, me rappelant ce qui fonde mon opinion personnel au sujet du langage de façon générale et sa forme la plus répandue : le mot. Sans aller chercher trop loin, dans des théories ou concepts savants et complexes, ma conception de la fonction linguistique repose sur une notion toute simple. C’est celle de tout le monde : le mot est l’élément le plus représentatif, le plus cher et le plus révélateur du pouvoir extraordinaire de l’expression humaine.

Qu’il se décline en message sombre porté par un djinn, ou en parole divine, douce et rassurante, peinte en toile par les doigts d’un oiseau de paradis trempés de bleu, qu’il soit dessiné au moyen d’une plume, par le son d’un instrument de musique… il reste aussi proche qu’insaisissable.  il nous appartient et, en même temps, il échappe à notre emprise.

Je rejoins parfaitement ‘’Y’’ et ses djinns pour glorifier ce bel attribut intrigant. Comme elle, je trouve en effet le mot unique et univoque.

 ‘’Y’’ a bien raison d'exprimer cela à sa façon bien à elle.

 Comme elle, je sens à mon tour le besoin de dire les choses qui m’interpellent. Je cherche la bonne recette , la  formule capable d’exprimer avec force mes sensations.

J’en appelle aux bons djinns, moi aussi.

Toutefois, les miens sont d’une paresse terrible.

El Boukhary Mohamed Mouemel

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